La presse se fait régulièrement écho de pratiques agricoles dangereuses pour la santé humaine et pour l’environnement, accusations souvent à charge et erronées. Pourtant, l’agriculture française fait partie des plus réglementées au monde. Voici ce que disent certains textes réglementaires.
C’est un fait : les agriculteurs français croulent sous les normes à respecter[i], françaises comme européennes. Et le phénomène n’est pas nouveau. Qu’elles émanent du ministère de l’Agriculture, de l’Environnement, de la Santé ou de la Transition écologique, et surtout de la Commission européenne à Bruxelles via la PAC (Politique agricole commune), ces normes font souvent perdre leur latin aux plus consciencieux.
Il y a cinq ans déjà, un rapport du Sénat français[ii] avait préconisé de « retrouver le chemin du bon sens ». L’Etat français, conscient du poids pesant sur les épaules du monde agricole, voyait dans l’avalanche de normes un véritable problème. « L’excès de normalisation pourrait ne pas poser d’autre problème que celui de compliquer la tâche des agriculteurs, écrivait Daniel Dubois, le rapporteur sénatorial, en 2016. Or, les normes ont des conséquences économiques directes, en renchérissant les coûts supportés par le milieu agricole. […] Cette accumulation peut aussi constituer un facteur puissant de découragement et les changements réglementaires génèrent souvent des décisions d’arrêt de production, certains ne pouvant pas assumer les investissements de mise aux normes. » Cinq ans plus tard, rien n’a vraiment changé. L’agriculture française reste l’une des plus normées au monde. Si les agriculteurs payent le prix[iii] de ces multiples contraintes, les consommateurs et l’environnement sont quant à eux largement protégés. Voici 4 cas très concrets.
Antibiotiques : un contrôle très strict
La France est un pays d’élevage. En 2020, malgré la crise sanitaire du Covid-19, ce secteur (bétail, volaille…) a regroupé plus du tiers de la production agricole française[iv], avec 26,2 milliards d’euros (sur 74,6 milliards). Parmi les produits incontournables utilisés par les éleveurs, les antibiotiques font souvent peur aux consommateurs. Pourtant, ils entrent naturellement dans la chaîne de production : sans eux, les éleveurs ne pourraient pas lutter contre les infections microbiennes et le développement des bactéries pathogènes. En bout de chaîne, une viande infectée serait impropre à la consommation humaine, les antibiotiques sont donc utiles et nécessaires, en respectant le bon dosage évidemment. Comme pour tous les intrants, l’utilisation d’antibiotique ne se fait donc pas à la légère : dans leur activité quotidienne, les éleveurs doivent suivre les prescriptions des autorités sanitaires et des vétérinaires.
Dans ce domaine, c’est l’Agence européenne du médicament (EMA) qui fixe les règles du jeu et les limites autorisées, avec la fameuse LMR que les éleveurs connaissent bien, la limite maximale de résidus. Ce seuil réglementaire indique la limite au-delà de laquelle des résidus d’antibiotiques dans les produits destinés à la consommation pourraient présenter un risque pour la santé humaine. Via l’EMA, l’Union européenne a ainsi catégorisé les différents types d’antibiotiques[v]. Chargée de la surveillance des exploitations agricoles, la DGAL (Direction générale de l’alimentation) effectue de nombreux contrôles. Et le non-respect des doses prescrites par les agriculteurs peut entraîner le retrait des produits mis sur le marché et même des poursuites pénales.
Fertilisants : les métaux lourds mis à l’index
Les institutions françaises et européennes sont nombreuses à s’être penchées sur la question des fertilisants minéraux. Après la fameuse Directive Nitrates[vi] de 1991, c’est au tour des métaux lourds d’être dans le collimateur des autorités sanitaires, et en particulier le cadmium. Classé comme cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé, ce métal lourd est présent naturellement dans les sols – dont ceux destinés à l’agriculture – ou issus de l’activité humaine. Selon le dernier rapport[vii] publié début juillet par Santé publique France (SPF), l’imprégnation ou la contamination de ce produit se fait essentiellement par l’ingestion de poissons et de fruits de mer et via le tabagisme chez les adultes, et dans une moindre mesure par l’ingestion de céréales, dans le petit-déjeuner des enfants.
En agriculture, les fertilisants comprennent trois éléments nutritifs essentiels au bon développement des végétaux : l’azote, le phosphore et la potasse. Par principe de précaution, en 2019, l’Union européenne a voté un texte limitant le taux de cadmium[viii] dans les fertilisants phosphatés. Le texte – qui entrera en vigueur en 2022 – va ramener le taux légal de cadmium à 60mg/kg, dans tous les pays de l’Union européenne, chaque pays ayant jusqu’alors sa propre limitation. L’Union des industries de la fertilisation (UNIFA) a accueilli ce texte avec satisfaction[ix] : « Le Conseil, le Parlement et la Commission européenne réunis en trilogue ont trouvé un compromis recevable pour la profession sur les points encore en discussion dont la teneur limite en cadmium des engrais phosphatés. » Même si l’absorption du cadmium par les plantes fait encore débat dans la communauté scientifique, l’Europe a donc opté pour la prudence.
Dans le dossier cadmium, tous les pays du monde entier avancent en ordre dispersé. Jusqu’à présent, la France respectait un taux à 90mg/kg, tandis que d’autres pays suivent des seuils bien plus élevés[x] : 122mg/kg en Nouvelle-Zélande, 131mg/kg en Australie, 148mg/kg au Japon et même 889mg/kg au Canada, quatre pays qui n’ont pas la réputation d’être les pires pollueurs au monde. En matière de métaux lourds, l’Europe – et la France – appliquent donc une politique protectionniste extrêmement stricte.
OGM : la France en pointe dans l’interdiction
Sur le dossier des organismes génétiquement modifiés, l’Europe laisse une certaine marge de manœuvre à ses Etats membres. La directive nº412 de 2015[xi] prévoit la possibilité pour les pays européens de restreindre ou d’interdire la culture d’OGM sur leur territoire. Cette directive est « conforme au principe de subsidiarité, en vertu duquel elle accorde aux pays de l’UE davantage de souplesse en matière de culture des OGM sans porter atteinte à l’évaluation des risques pour l’environnement ».
Les pays européens peuvent émettre des autorisations de mise sur le marché de produits agroalimentaires manufacturés à l’étranger, certains permettant même la culture d’OGM sur le sol européen. En effet, l’Europe « permet à chaque pays d’interdire ou de restreindre la culture des OGM sous certaines conditions. Les pays de l’UE dans lesquels des OGM sont cultivés doivent adopter des mesures dans les zones frontalières pour éviter toute contamination potentielle des Etats membres voisins où la culture de ces OGM est interdite ». La France a pour sa part totalement banni la culture des OGM à des fins commerciales[xii] de son vocabulaire depuis 2008. Depuis la fin des derniers essais IGM en grands champs en 2013, trois laboratoires nationaux de référence – le BioGEVES, le laboratoire de Santé des végétaux de l’Anses et le Service commun des laboratoires de Strasbourg – veillent au respect de l’interdiction, en analysant en permanence les cultures françaises.
Eaux usées : une solution pour l’irrigation
Nous terminerons ce tour d’horizon par un cas à part : la réutilisation des eaux usées pour l’irrigation des terres agricoles[xiii] qui constituent, de par le monde, une véritable alternative dans les zones souffrant de stress hydrique. Sur la planète, « seule une infime proportion des eaux usées traitées est utilisée à des fins agricoles, il s’agit pour la plupart des eaux usées municipales, déplore Marlos de Souza de la Division des terres et des eaux de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cependant, de plus en plus de pays faisant face à une hausse des pénuries d'eau – l’Egypte, la Jordanie, le Mexique, l'Espagne et les Etats-Unis par exemple – ont exploré plusieurs options ».
La France, elle, boude cette solution. La proportion des eaux usées réutilisées dans l’agriculture française est infime[xiv]. En 2019, elle ne représentait que 0,6% des eaux destinées à irriguer les cultures, le gouvernement s’étant alors engagé à atteindre 1,8% d’ici 2025, alors que certains de nos voisins européens ont largement développé cette option : « Alors qu’elles sont soumises aux mêmes directives européennes que la France en la matière, l’Italie et l’Espagne recyclent respectivement 8 et 14% de leurs eaux usées traitées », remarque l’Office international de l’eau. L’une des raisons à cet apparent retard français : les normes hexagonales en matière de qualité de l’eau.
C’est en effet le règlement nº852/2004 qui régit la qualité de l’eau d’arrosage, d’irrigation ou d’immersion[xv] des fruits et légumes consommés crus : « Conformément à ce règlement, l’eau propre est une “eau naturelle, artificielle ou purifiée, qui ne contient pas de micro-organismes ni de substances nocives en quantité susceptible d'avoir une incidence directe ou indirecte sur la qualité sanitaire des denrées alimentaires” ».
Ce règlement français draconien empêche le développement de la réutilisation des eaux usées, mais protège in fine les consommateurs. Comme dans le cas des antibiotiques ou du cadmium.
[i] https://www.lesechos.fr/2016/10/cette-avalanche-de-normes-qui-etouffe-les-agriculteurs-1112963
[ii] http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-733-notice.html
[iii] https://www.revueconflits.com/agriculture-francaise-danger-normes/
[iv] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4996514
[vi] https://agri.compteepargneco2.com/reglementation-normes/europeennes/directive-nitrates/
[viii] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0306_EN.pdf?redirect
[xi] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=legissum%3A4326427
[xii] https://agriculture.gouv.fr/la-situation-des-ogm-en-france
[xiii] http://www.fao.org/news/story/fr/item/463471/icode/
[xv] https://driaaf.ile-de-france.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Rappel_a_la_reglementation_analyse_eau_vegtx_20170523_note_info_IDF_vdefinitive_cle8a1a84.pdf
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