Par Bérénice La Selve pour GaïaPresse
La densification des villes permet selon plusieurs expert.e.s de diminuer leurs impacts environnementaux, et fait donc partie des mesures de lutte au réchauffement climatique. Cette réorganisation ne se fait cependant pas sans peine, tant les intérêts des divers acteur.ice.s concerné.e.s sont cause de dissensions. Les enjeux et pistes de solutions autour de la densification harmonieuse ont été abordés lors d’une conférence organisée le jeudi 25 avril par l’organisme-conseil Vivre en Ville, dans le cadre du Rendez-vous Collectivités viables 2019.
En accord avec sa mission de « développement de collectivités viables », l’organisme d’intérêt public Vivre en Ville propose son aide aux municipalités pour créer des projets de densification planifiée. La densification est la réponse apportée au problème de l’étalement urbain, qui est le « développement des surfaces urbanisées à l’extérieur des grandes villes, avec une densité de bâti de plus en plus faible au fur et à mesure qu’on s’éloigne des villes ». Parmi ses impacts environnementaux, on peut citer des émissions de GES accrues à cause du recours à l’automobile, ainsi que la destruction des écosystèmes causée par la bétonisation de zones naturelles et l’empiètement sur les zones agricoles, comme l’explique cet article. De plus, cet étalement demande l’entretien de vastes réseaux d’infrastructures (aqueducs, égouts et autres).
Dès lors, la densification des centres urbains semble une bonne façon de diminuer les impacts environnementaux des villes tout en répondant aux besoins en logement d’une population en expansion. Selon Catherine Boisclair, coordinatrice du projet « Oui dans ma cour ! » au sein de Vivre en Ville, cette densification consiste à « retisser la ville pour accroître sans s’étaler ». Cela signifie que la surface des habitations se réduit afin d’augmenter la densité de population. Et, c’est humain, personne n’aime s’empiler. Dès lors : comment rendre l’habitat dense attrayant ? Laurence Vincent, promotrice d’immobilier, souligne que « l’île de Montréal doit se préparer à accueillir plus de 20 000 nouveaux ménages par an ; la construction de nouveaux logements est urgente. » Selon elle, la densification rend les logements accessibles au plus grand nombre par le biais d’une augmentation de l’offre, ce qui permet de maintenir des prix abordables. « Il est possible de densifier avec intelligence et harmonie », ajoute-t-elle. « Il est important de ne pas se sentir oppressé par les bâtiments lorsqu’on marche dans la rue ; dans le même temps, il faut plus de hauteur égale, plus d’ensoleillement et plus d’espaces au sol, tels que des espaces verts. »
L’enjeu de l’acceptabilité sociale survient nécessairement lorsqu’il est question de densification, car les intérêts des acteur.ices autour de la table de négociation divergent grandement : la municipalité cherche à valoriser ses territoires ; les habitant.e.s veulent protéger leur confort de vie ; les commerçant.e.s souhaitent assurer la pérennité de leur entreprise ; et les promoteur.ice.s immobiliers recherchent avant tout la rentabilité du projet. Tous ces acteur.ice.s doivent réussir à construire ensemble un projet intégrant au mieux les attentes de chaque groupe. La municipalité peut alors décider de mener une consultation publique au sujet du projet immobilier.
La façon dont cette consultation est menée est d’une importance capitale ; elle assure le succès ou l’échec du projet. Pour qu’une consultation soit considérée comme légitime, il faut que les groupes d’intérêt soient tous représentés. L’un des premiers défis consiste donc à encourager la participation des citoyen.ne.s, car les réalités de chacun.e sont bien différentes : le temps libre, les horaires de travail, l’accessibilité des locaux, la langue dans laquelle se tiennent les débats sont quelques-uns des obstacles à surmonter pour obtenir la participation de tous.tes. Parmi les mesures mises en place pour tenter de rejoindre les habitant.e.s, Véronique Couzon, la directrice du Syndicat de l’Ouest Lyonnais venue s’exprimer sur la politique de densification des villages de sa région, cite certaines initiatives testées par ses soins : « offrir un service de garderie des petits enfants, cela fonctionne bien ; des activités de journée dans les écoles aussi, car les enfants s’intéressent. La bouffe gratuite fonctionne aussi très bien avec les ados ! » Cependant plusieurs personnes dans le public de la conférence soulignent la sous-représentation de certaines catégories sociales dans ces consultations, telles les personnes ne parlant ni français ni anglais, les personnes malvoyantes ou malentendantes, ou encore les personnes avec plusieurs enfants qui ne peuvent s’absenter plusieurs heures d’affilée. Les intervenant.e.s admettent l’importance de l’enjeu et la nécessité d’améliorer le format des consultations.
Au-delà de la crainte de voir leur quartier changer et leur espace de vie réduit, un autre problème inquiète les habitant.e.s : la gentrification. Ce phénomène se produit lorsque les logements sont occupés par des personnes plus aisées que la population moyenne du quartier, conduisant à une hausse des loyers et au départ forcé de celleux qui n’ont plus les moyens des prix tirés vers le haut par les nouveaux.elles arrivant.e.s. Pour combattre ce phénomène, Martin Bécotte, directeur de la Fédération régionale des OSBL pour l’habitation de la Montérégie et de l’Estrie (FROHME), souligne l’importance du maintien de l’offre en logement social. « Il n’y a pas de densification possible sans mixité sociale », explique-t-il. « Or, une fois que les logements promis par le gouvernement seront construits, il n’y a n’a pas de plan pour en construire d’autres. » En effet, la construction de logements sociaux au Québec prend du retard depuis plusieurs années à cause d’un programme de financement inadapté. « Pendant ce temps, les promoteurs ont librement accès aux terrains », déplore-t-il.
Si la route vers une densification harmonieuse est parsemée d’embûches, le jeu en vaut la chandelle. David Paradis, directeur de la recherche, formation et accompagnement au sein de Vivre en Ville, démontre que la densification n’est pas bénéfique qu’aux grandes métropoles, mais également aux petites et moyennes collectivités. Il présente le cas de Saint-Elzéar, un village de 2 400 habitant.e.s dont la population a augmenté de 44 % en 20 ans. Cette pression démographique a conduit à des demandes d’expansion des zones constructibles au détriment de la zone agricole permanente. Pour protéger cette zone, la municipalité a lancé une opération d’amélioration de la densité en collaboration avec Vivre en Ville. « On a établi un portrait avec une identification des terrains », explique David Paradis. « On a identifié la centralité du village, la centralité secondaire, les voies structurantes versus les lieux de passage, les quartiers complets avec tous les services à proximité, et on a établi avec la municipalité les enjeux à perdre et à gagner pour chaque type de changement. » Suite à cette étude, 340 emplacements potentiels pour de nouveaux logements ont été identifiés, et plus de 413 autres sont constructibles dans les extensions existantes, ce qui assure qu’aucune extension supplémentaire ne serait nécessaire avant 15 ans. L’exercice aura permis de démontrer que la densification permet l’accueil d’un plus grand nombre de résident.e.s, et ce sans toucher à la biodiversité.
Pour plusieurs des praticien.ne.s réunis lors du Rendez-vous Collectivités viables, la densification planifiée est une phase incontournable de l’adaptation des villes et de la lutte aux changements climatiques. Mais alors que de nombreux exemples de réussite comme Saint-Elzéar prennent forme au Québec, beaucoup reste à faire pour contrer les phénomènes d’étalement urbains si bien ancrés dans la culture des villes américaines.
À propos de l’autrice : Bérénice La Selve est travailleuse indépendante dans le domaine de l’environnement ; elle se passionne pour les questions de gestion des matières résiduelles et d’alimentation, et elle a récemment intégré le mouvement Rébellion Contre l’Extinction Québec.
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