Faits saillants d’une recherche réalisée par Dr KOUTOU N’Guessan Claude,
Dr GOI BI Zamblé Théodore et al.[1]
Cette recherche sera lancée le 5 avril 2019 à Abidjan conjointement par l’Internationale de l’Éducation Section Côte d’Ivoire (IESCI), le Comité syndical francophone pour l’éducation et la formation (CSFEF) et l’Internationale de l’Éducation (IE).
Depuis 1960, l’année où la Côte d’Ivoire a accédé à son indépendance, il y a toujours eu une forte implication de l’État dans la construction des écoles primaires, secondaires générales et techniques. Cependant, la crise économique des années 1980 et l’avènement des Programmes d’Ajustement Structurels (PAS)[2] ont entrainé une réduction draconienne des financements de l’Etat en direction des écoles publiques. Toutefois, devant la demande croissante en éducation et l’insuffisance des structures d’accueil publiques, l’Etat décide d’autoriser l’ouverture d’écoles privées sur l’ensemble du territoire national à travers une convention de concession de service public.
Dès cet instant, on a assisté à un développement des écoles privées sur l’ensemble du territoire ivoirien pour répondre à la forte demande en éducation. La privatisation, tout azimut, de l’éducation fait qu’aujourd’hui, il existe dans certaines localités dix fois plus d’écoles privées que d’écoles publiques.
Le mauvais fonctionnement des écoles privées
Malheureusement, toutes les écoles privées ne sont pas enregistrées en raison de leur situation géographique inaccessible et du fait que certains responsables de ces écoles refusent de payer leur droit à l’Etat qui les recensera en vue de les identifier et les faire connaitre. Certaines écoles privées n’existent que de nom. Cela veut tout simplement dire que ces écoles, bien qu’ayant une autorisation de fonctionner, ne remplissent pas les conditions pour ouvrir : infrastructures délabrées, insalubrité des lieux, non-respect des programmes et des progressions, etc. Elles fonctionnent donc dans l’illégalité.
Pour comprendre les raisons de ce mauvais fonctionnement, une enquête a été menée dans 18 établissements dont 15 à Abidjan et 3 à Daloa. Ainsi, 286 élèves ont été interrogés dont 132 garçons et 154 filles ; 90 enseignants dont 70 hommes et 20 femmes et enfin 32 parents d’élèves dont 17 hommes et 15 femmes.
Des écoles privées en mauvais état
Les écoles privées, selon les réponses des enquêtés, ne sont pas toujours propres. Elles sont très sales commel’indique 52 % des apprenants et sales pour 26 %. En matière de sécurité dans les établissements privés, les élèves avouent ne pas être en sécurité. En effet, leur école est insuffisamment sécurisée pour 56 % et insécurisée pour 23 %. Ils sont donc trois apprenants sur quatre à évoluer dans un cadre non sécurisé.
Les apprenants qui bénéficient d’une bibliothèque au sein de leur établissement sont à peine 18 %, soit moins d’un sur cinq. Les salles d’informatique sont absentes dans les établissements de l’enquête pour près de 65 % des apprenants. L’accès à internet au sein de leur établissement est inexistant pour la quasi-totalité des apprenants, soit 95 %. Les apprenants dont l’établissement dispose de laboratoire de sciences sont à peine 12 % de l’effectif des enquêtés.
De enseignants non qualifiés embauchés par les écoles privées
En ce qui concerne les enseignants, 50 % ont moins de cinq années d’expérience. En fait, recruter un enseignant diplômé d’une institution de formation des formateurs reviendrait beaucoup plus coûteux à ces établissements privés. Dans ces conditions, les fondateurs préfèrent réduire les charges en recrutant majoritairement les enseignants peu qualifiés pédagogiquement : ceux qui, la plupart du temps, ont des affinités ethniques et ne disposent pas d’autorisation d’enseigner. La raison est simple : payer moins pour gagner plus d’argent, peu importe les conséquences sur la qualité des enseignements.
Des contrats précaires pour le personnel enseignant
Les enseignants évoluent dans des situations contractuelles précaires, les contrats ne sont pas toujours explicites selon 71 % des enquêtés. Pour les 29 % des enseignants qui affirment bénéficier d’un contrat de travail, ils précisent que ce dernier n’est pas toujours respecté et que le paiement de leur salaire dépend fortement du bon vouloir de l’employeur.
De plus, dans le but de réduire leurs charges salariales, les programmes de formation définis par le Ministère ne s’appliquent pas correctement. Pire, dans certaines écoles privées, les quotas horaires par matières définis par le Ministère de l’Education Nationale ne sont pas respectés.
L’objectif : faire de l’argent et non offrir une éducation de qualité
Plusieurs problèmes, de nature différente, limitent l’efficacité des écoles privées. La principale difficulté à laquelle la majorité des écoles privées est confrontée est d’ordre financier. Ce problème est, soit lié au retard de paiement des subventions par l’Etat, soit à la difficulté de recouvrement des frais de scolarité dus par les parents d’élèves. Ce problème a un impact négatif sur le bon fonctionnement des écoles privées et réduit de façon considérable la qualité de la formation.
A chaque rentrée scolaire, de nouvelles écoles sont ouvertes, souvent par des personnes qui n’ont rien à voir avec l’enseignement et qui utilisent des « prête-noms », dans des bâtiments inappropriés, sans matériels didactiques, avec des enseignants peu qualifiés, etc. Le plus important pour ces personnes, ce n’est pas la qualité de la formation, mais uniquement le profit. En bref, c’est de la marchandisation.
De nombreuses questions
Devant ce tableau peu reluisant dressé sur de nombreuses écoles privées, l’on peut se demander comment parviennent-elles à recevoir des élèves affectés par l’Etat ? Comment font-elles pour obtenir les autorisations d’ouverture et le renouvellement de ces autorisations en dépit des insuffisances énumérées ? Pourquoi l’Etat continue-t-il d’y envoyer des élèves, alors que les fondateurs ne respectent pas les consignes de la direction pédagogique ? Pourquoi les observations faites par les agents du ministère sur les mauvaises pratiques de certaines écoles privées ne donnent toujours pas de résultats ?
Faut-il désespérer et baisser à jamais les bras, ou explorer d’autres solutions pour réduire, dans un premier temps, et arrêter, dans un second temps, la marchandisation de l’école ? La seconde approche semble plus plausible car elle peut permettre à l’école ivoirienne de retrouver son lustre d’antan. Pour atteindre cet objectif, l’État doit réorienter ses investissements en matière d’éducation dans la construction et la réhabilitation des établissements publics et réduire de façon radicale, voire renoncer au financement des écoles privées.
Recommandations au Ministère de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement technique et professionnel (MENETP)
Les élèves avant les profits!
[1] Enquêteurs : Dr YAO N’Guessan Louis Franck, Assistant, Université Félix Houphouët Boigny, Dr ETTY Assamoi Isidore, Assistant, Université Félix Houphouët Boigny, Mlle YE Sata, Doctorante en Sociologie économique, Mlle NADO Chiaba Alida, Doctorante en Sociologie du genre.
[2] Un programme d’ajustement structurel est un programme de réformes économiques que le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondialemeten place pour permettre aux pays touchés par de grandes difficultés économiques de sortir de leur crise économique. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ajustement_structurel