Les oiseaux communs des milieux agricoles ont perdu plus de 30 % de leurs effectifs ces vingt dernières années. Nicola Tröhler/Unsplash
Romain Julliard, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités
Le 20 mars dernier, premier jour du printemps, nous avons publié une étude alarmante sur la situation des oiseaux dans les zones rurales françaises. Nos résultats confirment une tendance bien établie : en l’espace de 20 ans, un oiseau des champs sur trois, en moyenne, a disparu de nos campagnes.
Sitôt ce « printemps silencieux » annoncé, les médias en France et à l’étranger s’en sont fait l’écho. Fin mars, on comptait déjà plus de 300 reprises de nos travaux, un niveau inédit dans les annales du service presse du Muséum national d’histoire naturelle, traduisant une vive émotion.
Alouettes, perdrix, bruants… la disparition inquiétante de ces espèces est devenue en quelques jours un sujet de préoccupation largement partagé. Sur les réseaux sociaux, certains évoquent les comptines apprises à l’école, d’autres des souvenirs de vacances à la campagne. Nul besoin de remonter très loin dans le temps : il y a quelques décennies de cela, nos champs regorgeaient de vie. Souvenez-vous de tous ces insectes qui étoilaient le pare-brise sur les routes de campagne et de ces oiseaux qui chantaient à tue-tête à travers champs… Mais c’était hier.
Tout dépend des pratiques agricoles
Depuis des milliers d’années, le travail de la terre façonne les paysages, créant de véritables écosystèmes. Certains oiseaux ont fait de ces milieux typiques leur résidence principale, devenant des « spécialistes » de ces espaces, à l’image de l’alouette des champs, la perdrix rouge, la plupart des bruants ou encore la linotte mélodieuse.
L’agriculture est non seulement compatible avec la biodiversité sauvage, mais elle peut également en produire, au même titre que n’importe quel écosystème.
Depuis une cinquantaine d’années cependant, l’intensification des pratiques et le recours massif aux intrants (pesticides, engrais, engins mécaniques…) a porté un coup presque fatal aux espèces qui faisaient jadis la richesse de nos paysages ruraux. Presque.
En effet, si les insectes du sol, les oiseaux et autres petits mammifères ne trouvent plus les ressources pour accomplir leur cycle de vie et disparaissent en masse, il ne faut pas non plus les enterrer trop vite. La biodiversité a des capacités de reconquête étonnantes. Promenez-vous dans une parcelle nouvellement biologique, dans une autre où l’on vient d’implanter des haies ; promenez-vous sur des terres agricoles où les pressions humaines ont été réduites : vous serez frappé par la capacité colonisatrice du vivant, du sous-sol jusqu’au ciel.
Mesurer les impacts
De multiples travaux auxquels a contribué notre laboratoire indiquent que des changements dans les pratiques d’agriculture conventionnelles permettent le maintien des espèces sauvages.
Dans une vaste étude portant sur 200 fermes de blé conventionnel, nous avons ainsi montré que l’utilisation « normale » de pesticides varie d’un facteur 1 à 3 entre agriculteurs. Nos observations (rendues publiques en 2014 et en 2016) confirment que les parcelles moins traitées accueillent davantage d’oiseaux.
D’autres études, plus récentes, comparent les effets du désherbage avant semis – soit chimique (herbicide généraliste comme le glyphosate), soit mécanique – sur la quantité d’oiseaux nicheurs. Ces derniers sont deux fois plus nombreux sur les parcelles lorsque le désherbage est mécanique. Quant aux chauves-souris en chasse, elles sont 5 fois plus abondantes. Le semis direct sous couvert s’avère à ce titre l’une des méthodes les plus favorables à la biodiversité.
Ces travaux montrent que des améliorations peuvent être réalisées en agriculture conventionnelle et ce sans perte de revenu.
Un marché pour la biodiversité sauvage
S’il est possible de changer la donne à l’échelle d’une parcelle, pourquoi ne parvenons-nous pas à changer le système dans son ensemble ?
Paradoxalement, la puissance publique a beaucoup dépensé pour tenter d’enrayer le déclin de la biodiversité sauvage en milieu agricole : Natura2000, mesures agro-environnementales du deuxième pilier de la PAC, soutien à l’agriculture biologique, etc.
Malheureusement, toutes ces initiatives n’ont pas eu l’effet escompté et si elles apportent de réels bénéfices au niveau local, la tendance à grande échelle n’a pas été inversée. Pourquoi ?
Tout d’abord parce que l’évaluation se fait selon le principe d’une obligation de moyens – planter des haies et rembourser l’agriculteur sur factures – et non une obligation de résultats – augmenter la quantité d’oiseaux présents et rémunérer l’agriculteur en fonction. Ensuite, les actions consistent essentiellement à subventionner l’agriculteur pour faire moins d’agriculture (et, peut-être, un peu plus de biodiversité). Ce principe, peu populaire quand on aime son métier, ne peut pas non plus tenir longtemps lorsque les prix de la production agricole subissent de fortes hausses.
Nous proposons donc de revoir la relation entre agriculture et biodiversité, en distinguant la production alimentaire de celle de la biodiversité. Il faut les considérer indépendamment l’une de l’autre. Une telle approche revient à mettre en place un marché dédié à la production de biodiversité sauvage.
Comment financer ce marché ?
Trois possibilités, non exclusives, existent aujourd’hui pour financer un tel dispositif.
On pourra par exemple solliciter les aménageurs – constructeurs d’infrastructures de transport, d’activités industrielles ou de logements – souhaitant compenser les impacts résiduels sur la biodiversité sauvage agricole de leurs implantations.
Les territoires pourront également être intéressés, eux qui cherchent de plus en plus à préserver ou restaurer l’attractivité de leur campagne afin d’attirer les citadins pour des week-ends ou des vacances à la campagne, activités touristiques rémunératrices.
Il y a enfin les consommateurs prêts à acheter de préférence des produits issus de pratiques agricoles favorables à la biodiversité. Non pas tant pour des raisons gustatives ou de santé d’ailleurs, mais parce qu’il deviendrait socialement inacceptable d’acheter un produit susceptible d’avoir participé à la destruction du bien commun qu’est la biodiversité.
Ces différents « marchés » de l’activité de production de biodiversité ne pourront voir le jour sans de profonds changements politiques et économiques.
Il faut tout particulièrement accepter de ne plus opposer agriculture et biodiversité, et considérer que c’est à l’agriculteur de choisir les pratiques qui permettent de maximiser les revenus qu’il tire de la production alimentaire et ceux qu’il tire de la production de biodiversité sauvage.
Hugo Struna, journaliste et rédacteur du blog de Vigie Nature, un programme de sciences participatives porté par le Muséum national d’histoire naturelle, a contribué à la rédaction de cet article.
Romain Julliard, Professeur d'écologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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