La ville de Douala, capitale économique du Cameroun, a abrité du 2 au 6 septembre 2024 un atelier régional sur les avis de commerce non préjudiciable et les avis d'acquisition légale pour les Etats de l'aire de répartition du bois de rose africain (Pterocarpus erinaceus), que sont : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo. L’activité était organisée à la demande du Comité permanent de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), en collaboration avec le Cameroun comme pays hôte. Plus d’une cinquantaine de participants constitués notamment des organes de gestion et des autorités scientifiques CITES prennent part à la réflexion. L’objectif du renforcement des capacités (à travers une approche théorique et pratique) était de catalyser au niveau régional, la mise en œuvre des recommandations au titre de l'article XIII accéléré de la CITES et l'examen des processus commerciaux importants pour l’espèce, tel que prescrit lors de la 77e session de la Convention tenue en novembre 2023 à Genève en Suisse. Ce, à travers une approche théorique et pratique de renforcement des capacités pour la préparation des avis de commerce non préjudiciable (ACNP) et des avis d'acquisition légale (AAL) pour l'espèce.
En présidant la cérémonie officielle d’ouverture de ce cadre d’échanges, le ministre camerounais des Forêts et de la Faune, Jules Doret Ndongo, a reconnu que la présence des participants témoigne de leur ferme adhésion aux principes généraux des procédures de conformité énoncées dans la résolution Conf 14.3 de la CITES. Il a engagé les participants à formuler des recommandations « pratiques » pour une gestion durable de l’espèce. « Nous voulons privilégier toute approche axée sur la collaboration plutôt que sur l’antagonisme pour garantir le respect à long terme de notre Convention. En agissant de cette manière, nous voulons promouvoir la transparence quant aux progrès accomplis en matière de durabilité, de légalité et de traçabilité, en même temps, nous mettons en lumière les dispositifs mis en place dans nos pays pour gérer les espèces inscrits en annexe II de la CITES », a souligné Jules Doret Ndongo.
Partage d’expériences pour une approche intégrée du commerce axée sur la durabilité
D’après la CITES, l’atelier ambitionnait de soutenir les Etats de l’aire de répartition du bois de rose africain du Pterocarpus erinaceus pour l’adoption d’une approche intégrée qui adresse les avis de commerce non préjudiciable et les avis d'acquisition légal. « Nous voulons soutenir les Etats parties en échangeant les expériences bonnes et mauvaises peut-être, afin de veiller à ce que le commerce soit légal et durable pour satisfaire non seulement les recommandations de la Convention mais que le commerce soit rouvert dans une logique de durabilité afin que l’espèce ne soit pas en danger critique d’extinction. Nous devons avoir un plan de gestion qui prévoit qu’on ne puisse pas prélever la ressource à un seul endroit. Il faut fixer des quotas pour que la récolte et l’exportation soient faites de manière durable », souligne le chef de l’unité des organes directeurs au secrétariat de la CITES, Haruko Okusu.
L’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) pour sa part, apprécie à sa juste mesure le conclave de Douala, dont la plupart des participants sont des membres de l’organisation en même temps. « Le principal objectif est de regarder deux choses : comment est-ce que nous gérons cette espèce de manière durable et comment est-ce qu’on agit pour réduire l’impact négatif sur le trafic légal de l’espèce. Le bois de rose africain est très recherché à cause de ses bonnes propriétés dans l’ameublement dans les pays d’Asie, en Chine en particulier », indique le directeur du commerce et industrie à l’OIBT, Dr. Mohammed Nurudeen Iddrisu. « En 2019, il a été démontré un grand mouvement de l’espèce vers la Chine et vers d’autres pays asiatiques. L’espèce a été inscrite à l’Annexe II de la CITES. Maintenant, nous devons veiller sur la conservation de l’espèce, en mettant une emphase sur la récolte durable, sa conservation et son commerce durable. Il y a plusieurs restrictions prescrites pour le commerce de l’espèce », a-t-il ajouté.
L’ATIBT renforce son lobbying international pour la préservation des espèces CITES
L’une des présences remarquées à l’atelier régional de Douala est la forte délégation de l’Association technique internationale des bois tropicaux (ATIBT), conduite par sa présidente, Françoise Van de Ven. Une participation loin d’être fortuite. « Ce qui est très important pour nous c’est d’avoir tous les pays, en particulier ceux qui ont aussi des essences sur l’annexe II, autour de la table, afin qu’ils puissent aussi bien comprendre les définitions sur les avis de commerce non préjudiciable et sur les dispositions légales du bois et de pouvoir échanger entre eux sur les informations et leurs expériences. Il y a des pays qui sont déjà suffisamment avancés en la matière. Et surtout que les scientifiques et les organes de gestion se connaissent et puissent mieux échanger. C’est ce que nous espérons comme résultat », fait savoir Mme Van de Ven. Pour l’ATIBT, c’est aussi une occasion de faire connaissance avec des pays où l’organisation n’est pas encore active et où elle souhaiterait étendre son champ de coopération, relate notre interlocutrice.
Quant à la mobilisation générale autour de la gestion durable du bois de rose africain, la dynamique est à encourager selon l’ATIBT. « On sent qu’il y a des pays qui deviennent plus conscients de la nécessité de mettre en place des outils de gestion durable des essences exploitées. Ils doivent prendre des dispositions particulières. Le 1er septembre, j’ai lu dans un compte-rendu d’un conseil des ministres du Gabon un décret sur le Kévazingo (Guibourtia) qui est aussi un bois de rose autre que Pterocarpus. De plus en plus, les pays sont conscients qu’il faut des mesures spécifiques », relate la présidente de l’ATIBT. Cette dernière voit en ce type d’atelier une opportunité, mieux occasion d’amener tout le monde à avoir une meilleure appréciation de ce qui se passe dans d’autres pays. Non sans rassurer que la CITES n’est pas un mal. « Il faut rappeler que l’inscription d’une essence sur l’annexe II de la CITES ne veut pas dire qu’il y a une interdiction de commercialisation. C’est un suivi du commerce, pour se rassurer que tout se passe dans une logique de durabilité, de traçabilité et de légalité. C’est ce qui est important pour la CITES. Tous les pays qui travaillent avec des plans d’aménagement sont conscients que ce sont des points cruciaux », martèle Mme Van de Ven. A sa suite, le Sénégalais Abba Sonko, membre du comité permanent de la CITES, ajoute que « si les pays de l’aire de répartition du kosso veulent le commercialiser, il faut qu’ils utilisent le permis CITES ».
A l’occasion de l’atelier régional de Douala, l’ATIBT a surtout frappé un grand coup en assurant la facilitation de l’activité. Dans le cadre de la mise en œuvre du projet ASP, l’organisation présidée par Françoise Van de Ven se démarque ces dernières années pour accompagner le Cameroun lors de sa participation aux réunions internationales en rapport avec la CITES. Cette intervention se fait notamment dans la mobilisation des Etats parties à la CITES, pour appuyer le Cameroun et d’autres pays africains sur certaines positions. « On fait un peu de lobbying avec les pays. On soutient également les pays dans la préparation des éléments techniques, pour appuyer les points de vue et les positions des pays sur les questions de la CITES », confie Germain Yene, coordonnateur du Projet « Appui au secteur privé forestier au Cameroun » (ASP-Cameroun).
En qui concerne l’atelier sur le kosso en particulier, l’évènement s’est tenu au Cameroun à la demande du ministère des Forêts et de la faune (Minfof), qui s’est porté candidat auprès du secrétariat CITES. « Bien que le Cameroun ne soit pas un pays important dans l’aire de répartition du kosso en termes de quantités de la ressource, le pays s’est porté garant pour abriter cet atelier. Dans ce cadre, l’ATIBT qui accompagne le secteur privé et les pays membres de la CITES, il lui a été confié la mission d’accompagner l’organisation matérielle et logistique de l’atelier et surtout d’apporter un appui technique aux différentes parties. Que ce soit la préparation des documents et des discussions techniques. C’est ce qui justifie l’intervention de l’ATIBT dans le cadre de l’atelier », justifie M. Yene.
Menaces sur l’espèce
Selon les experts, les populations de l’essence kosso sont en déclin. « Le bois de rose d’Afrique est aujourd’hui menacé dans son aire de répartition qui tourne autour de 16 pays de l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique centrale. On a constaté qu’il y a un glissement des exploitants et des trafiquants vers le bois de rose. L’ampleur que ce phénomène prenait a conduit à la mise en place de mesure de protection de cette espèce au niveau international par la CITES », a confié Abba Sonko du Sénégal. Plusieurs facteurs sont évoqués : exploitation illégale, transformation de l’habitat, utilisation comme bois de chauffe, faible capacité de régénération.
Du fait de l’appétit des Asiatiques pour le kosso, les coupes ont pris des proportions incontrôlables. Entre 2015 et 2019, les quantités de bois de rose exportés vers l’Asie sont passées du double à la multiplication par un facteur de 200 000. Sur la même période, les importations de bois de rose en Chine, en provenance d’Afrique de l’Ouest, ont été multipliées par 15 000, passant de 12 000 dollars US en 2009 à 180 millions de dollars US en 2014. C’est ainsi que le Sénégal a introduit une demande d’inscription du kosso à l’annexe II de la CITES. La Chine en est le plus gros consommateur.
Le fait que l’espèce est localisée dans des zones où la croissance de la population humaine est élevée l’expose au risque de déforestation pour la construction de nouvelles infrastructures, comme des routes par exemple. Dans l’éco-région guinéenne de mosaïque savane-forêt, qui couvre une grande partie de l’aire de répartition de l’espèce, le Pterocarpus erinaceus a été classé en 2015 comme étant en danger critique d’extinction par le Fonds mondial pour la nature (WWF). Si, auparavant, la menace tenait surtout aux prélèvements excessifs de branches pour le fourrage, elle s’est récemment déplacée et tient désormais à l’exploitation incontrôlée et illégale de l’espèce pour son bois d’œuvre, tel que l’a relevé la CITES en 2017. Lorsqu’une évaluation de l’état des populations a été effectuée, il en est ressorti que le recrutement serait peu élevé, voire pire dans les zones protégées, ce qui serait probablement dû au broutement et au piétinement excessifs par les ongulés dans ces zones.