Du 15 au 17 février 2024, la ville de Dizangué dans le département de la Sanaga-Maritime, région du Littoral, a abrité un atelier de réflexion sur la gestion intégrée des ressources en eau du bassin de la Sanaga, autrement dénommé « Street Manatee 2024 », organisée en partenariat entre African Marine Mammal Conservation Organisation (Ammco) et l’université de Douala, sur le parrainage du ministère des Forêts et de la Faune (Minfof). L’évènement était présidé par l’inspecteur général du ministère des Forêts et de la Faune, Bruno Mfou’ou Mfou’ou, représentant du ministre Jules Doret Ndongo, qu’accompagnait le maire de Dizangué, le sous-préfet, le conservateur de la Réserve de faune du Lac Ossa, ainsi que des organisations du secteur privé, de la société civile et des autorités traditionnelles locales. Les activités se sont déroulées sous le thème : « Vers une gestion durable de la biodiversité du bassin de la Sanaga ».
L’objectif de cette rencontre multisectorielle était de réfléchir sur les meilleures solutions à appliquer afin d’aboutir à une gestion durable de la biodiversité du bassin versant de la Sanaga. L’initiative a en outre mis en lumière les problèmes affectant le quotidien des populations locales. L’enjeu in fine est de disposer d’un cadre de collaboration qui vise à mutualiser les efforts et à avoir une meilleure compréhension de l’état des lieux à l’échelle du bassin, afin d’identifier des options efficaces à suivre pour assurer une meilleure gestion et suivi de ce bassin versant et de sa biodiversité.
Parmi les temps forts de cet évènement, figurent la visite des stands de la foire, la remise du matériel de support au service de la conservation de Dizangué par le président d’Ammco, Dr. Aristide Takoukam Kamla et l’inauguration du monument du Lamantin réalisé par un artiste local. Il faut également noter la tenue du premier symposium national du lamantin et des ressources d’eau douce au Cameroun. Les présentations ont été faites par des experts sur les thématiques relatives au lamantin ainsi que le bassin versant de la Sanaga.
Dans son discours inaugural, le président d’Ammco, Dr. Aristide Takoukam Kamla, a passé en revue les problèmes qui fragilisent la biodiversité du bassin versant de la Sanaga. Il a ainsi lancé un appel à la synergie des parties prenantes dans la recherche scientifique, au partage des ressources et à la collaboration multilatérale pour mieux comprendre cette réserve aquatique et énergétique afin de mieux la gérer de façon concertée, tout en préservant les intérêts des communautés riveraines.
La biodiversité du bassin versant de la Sanaga est singulière
Le bassin versant de la Sanaga est le plus vaste bassin hydrographique du Cameroun. Avec ses 140 000 km2 soit 25% de la surface du Cameroun, il couvre les régions de l’Adamaoua, du Centre, de l’Est, de l’Ouest, du Nord-Ouest et du Littoral. Ce bassin abrite une impressionnante biodiversité dont le lamantin d’Afrique, le crocodile nain, la tortue à carapace molle, les huitres, les oiseaux aquatiques et une large diversité de poissons. Les entreprises installées sur le bassin de la Sanaga dépendent directement de la ressource en eau ou du climat que crée ce bassin pour le fonctionnement de leurs activités.
La population autour de ce bassin versant dépend majoritairement de la pêche. De même, plusieurs communautés dépendent de la Sanaga et de ses affluents pour leurs besoins culturels voire cultuels. C’est le cas par exemple des peuples Malimba avec leur cérémonie « Ngand’a Behona », des Mbandjock et Mbamois dont l’histoire est lié aux fleuves Mbam et Sanaga. Le bassin de la Sanaga abrite aussi plusieurs aires protégées parmi lesquelles la Réserve de faune du Lac Ossa, le Parc national de Douala-Edea, le Parc national de Mpem et Djim, le Parc national du Mbam et Djerem et le Parc national de Deng-Deng.
Les activités anthropiques et les phénomènes naturels, principales menaces
Malgré ces atouts culturel, économique et écologique, la Sanaga, le lac Ossa, et d’autres systèmes hydrographiques associés à ce bassin versant font face à diverses menaces. Il s’agit notamment de : la pollution, le braconnage, la dégradation des forêts galeries, l’érosion, le développement infrastructurel et urbain combinés au changement climatique. En 2017, le lac Ossa, réserve de faune et habitat par excellence du lamantin d’Afrique a été envahi par la plante invasive Salvinia molesta aussi connue sous le nom de fougère d’eau. La plante a progressivement recouvert jusqu’à 50% de la surface du lac, empêchant le lamantin de se nourrir et le forçant à migrer vers d’autres habitats. Les zones de pêche ont été réduites d’environ 80% et l’accès au reste du plan d’eau étant impossible.
Cette situation a engendré une crise alimentaire et économique dans la localité de Dizangué, qui dépend en majorité des ressources issues de ce lac. Des études préliminaires montrent que cet envahissement faisait suite à une augmentation de la charge en nutriments essentiels tels que l’azote et le phosphore dans le lac. Ces apports en nutriments proviennent en majeure partie du fleuve Sanaga qui communique étroitement avec le lac Ossa à travers un canal de près de deux kilomètres de long.
Environ 10 000 personnes sensibilisées sur les menaces
L’état des lieux des écosystèmes aquatiques le long du bassin versant de la Sanaga reste encore très peu connu par le gouvernement et le public. Par ailleurs, il n’existe que très peu d’études disponibles à ce sujet. Il n’existe non plus une coordination effective entre les scientifiques investis sur ce bassin, et donc un manque de capitalisation des résultats des recherches pour informer la formulation des bonnes politiques ou des solutions en termes de gestion durable des terres et des ressources naturelles en amont du lac.
La mise en place d’une plateforme de collaboration interdisciplinaire et d’un repositoire de données est indispensable pour un meilleur suivi de l’évolution de l’état de santé du réseau hydrographique du bassin de la Sanaga et la formulation interdisciplinaire des solutions. Dans le cadre du « Street Manatee », environ 10 000 personnes ont été sensibilisées sur les menaces qui pèsent sur le bassin versant de la Sanaga et sur les mesures à adopter pour une meilleure gestion.
Revue des actions pour inverser la courbe de dégradation du bassin versant de la Sanaga
Des actions ont été entreprises pour renverser cette tendance négative. Des initiatives à l’échelle locale portées par les populations, les communes, les services de conservation des aires protégées, les organisations de la société civile, les entreprises privées et les sectorielles ont été mises en place. A Mouanko et à Dizangué par exemple, la population a décidé de mettre en place le repos biologique en fermant la pêche dans certaines zones et/ou sur une période de l’année. Cette initiative est soutenue par les ONG Ammco, Zoological Society of London (ZSL) et Cameroon Wildlife Conservation Society (CWCS) qui fournissent des moyens de substance alternatifs aux populations locales. Par ailleurs, la lutte biologique contre Salvinia molesta conduite par Ammco en collaboration avec le Minfof, le Minepded et les autres sectorielles, combinée aux efforts de retrait manuel par la population, ont contribué à réduire la couverture du lac de plus de 70% en deux ans.
La mise sur pied du système de développement économique des villages autour du barrage de Nachtigal par la Nachtigal Hydro Power Company (NHPC) et le soutien à la recherche scientifique par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ont contribué à mitiger les impacts de la construction du barrage dans la partie amont du fleuve Sanaga. En collaboration avec l’université de Douala (Institut des sciences halieutiques et Institut universitaire de technologie), Ammco mène des études pour évaluer et suivre le niveau de la pollution des nutriments tels que l’azote et le phosphore le long du cours majeur du fleuve Sanaga depuis la source jusqu’à l’estuaire, tout en répertoriant les menaces subies par la faune.
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