Jacques Prescott, M.Sc., biologiste, professeur associé à la Chaire en éco-conseil de l’UQAC
Gaston Déry, ing.f., M.Sc., C.M.,C.Q. Conseiller stratégique, développement durable
Alors que la COP 15 s’apprête à adopter l’objectif de dédier 30% de la planète à la création d’aires protégées, il y a lieu de se demander si cette solution est la meilleure dans un contexte où l’évolution rapide du climat met en péril la résilience des espaces protégés. Examinons le cas des forêts. Ces derniers mois, au Québec, alors que le premier ministre avait déclaré qu’un équilibre entre les aspects économiques et environnementaux demeure essentiel, les audiences publiques sur la survie du caribou forestier ont mis en évidence un clivage important entre le point de vue des tenants de la stricte protection de la nature et ceux prônant l’utilisation rationnelle des ressources. Un juste milieu est-il possible ?
Les uns demandent une protection stricte des espaces forestiers abritant le caribou, les autres veulent poursuivre leurs activités d’aménagement forestier. Sans nier son impact, la foresterie n’est pas l’unique cause du déclin des populations de caribous. D’autres facteurs démontrés par la science entrent en ligne de compte : dégradation et morcellement de l’habitat par les feux de forêt et les épidémies d’insectes, dérangement causé par les activités de villégiature et d’éco-tourisme, la chasse et le braconnage, la prédation par le loup et l’ours, la disponibilité de nourriture, les parasites, les maladies et les insectes piqueurs, les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes. Le caribou est donc affecté simultanément par une combinaison de facteurs de sorte qu’il est difficile d’évaluer séparément leurs effets relatifs. L’aménagement forestier ne peut être responsable à lui seul du déclin des populations de caribous forestiers et n’en constitue en fait qu’une des multiples causes.
Et si la forêt elle-même était menacée? Selon le ministère des forêts du Canada, les forêts canadiennes sont devenues depuis une vingtaine d’années de nettes émettrices de CO2 en raison de leur mauvaise gestion face aux aléas du climat. Par manque de ressources, de vastes étendues forestières laissées à elles-mêmes sont systématiquement détruites par les espèces envahissantes et les incendies qui retournent dans l’atmosphère des quantités phénoménales de carbone séquestrées par ces arbres. La protection intégrale sans intervention humaine adéquate est-elle suffisante pour protéger les écosystèmes?
Un autre dilemme s’impose. En soustrayant des milliers de kilomètres carrés de forêts à l’aménagement forestier, on se prive d’une source d’énergie renouvelable et d’un matériau de construction qui séquestre le carbone pour une longue durée. Est-il possible d’aménager la forêt sans en détruire la biodiversité et mettre en péril ses occupants?
La voie du juste milieu et de l’équilibre suggérée par le concept de développement durable offre une solution à ce dilemme. Au Québec, la politique forestière actuelle inspirée de la Loi sur le développement durable préconise un aménagement forestier qui reconnaît et encourage les diverses fonctions de la forêt, protège la biodiversité et tient compte des attentes de tous les usagers face aux aléas des changements climatiques.
Pour ce faire, nous avons besoin d’une foresterie durable qui met à profit la science et les technologies les plus avancées (télédétection, modélisation, interventions locales) et permet d’identifier à la fois les zones d’intervention prioritaires (foyers d’infection, zones à risque d’incendies) et les zones de protection. Par un prélèvement ciblé de la ressource forestière dans des zones adéquatement aménagées, il est possible tout à la fois d’augmenter la résilience de la forêt et mettre en marché une source d’énergie renouvelable et un matériau de construction carboneutre.
De tels travaux sont coûteux et ne peuvent s’appliquer sur de vastes territoires sans l’adoption d’un nouveau modèle économique. En créant des zones forestières d’utilisation durable centrée sur la séquestration de carbone et la protection de la biodiversité (l’équivalent de ce que les experts de l’UICN appellent des aires protégées de catégorie 6), ne serait-il pas possible de financer les travaux d’aménagement forestier et de protection de la biodiversité par la vente de crédits compensatoires sur le marché du carbone?
Non, il ne suffit plus de mettre la nature en vase clos pour la protéger. Les impacts des changements climatiques nous obligent à miser sur une conservation active des milieux naturels basée sur les connaissances scientifiques et en valoriser les diverses fonctions dans un modèle économique renouvelé. Voilà une approche de conservation durable centrée sur l’avenir pour faire face aux défis d’aujourd’hui.
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