Dans le Grand Sud malgache, et plus particulièrement dans la région de l’Androy, le manque de pluie chronique et un vent constant créent un phénomène de sécheresses récurrentes, à l’origine de graves crises alimentaires appelées « Kéré ». Accentué par la déforestation et le changement climatique, l’épisode de cette année est particulièrement aigu, et met en péril la vie et la santé de milliers de personnes.
« La situation est dramatique : il n’a pas plu depuis le mois de mars et les citernes sont vides. Les familles n’ont plus rien à manger mis à part des cactus ou des fruits sauvages », expliquait récemment Hanitra Rafanomezantsoa, responsable de l’antenne d’Ambovombe du Gret à Madagascar. En effet, le changement climatique, la grande pauvreté et le manque de services de base intensifient aujourd’hui la pénurie en eau et en aliments – une situation que cette région connaît de manière régulière depuis des décennies. Depuis le début de la crise en septembre, le kéré a déjà fait plusieurs victimes parmi les enfants, et les estimations indiquent que près de 120 000 d’entre eux pourraient se retrouver en état de malnutrition aiguë d’ici la fin de l’année.
Distribution alimentaire organisée par le Gret. ©Gret, 2020
L’accès à l’eau potable est un problème récurrent sur l’ensemble du Grand Sud malgache. En 2007 déjà, face à un épisode de sécheresse similaire, un mouvement de solidarité était né sur l’île de La Réunion pour venir en aide aux habitant·e·s de l’Androy. Lancée par la chaîne de télévision Antenne Réunion et l’Association Kéré, cette première Opération Kéré avait entraîné un formidable élan de solidarité, permettant au Gret de construire 64 citernes et de réhabiliter 11 bassins d’eaux pluviales (impluviums). Plus de 50 000 personnes, dont 24 000 enfants, avaient ainsi pu bénéficier d’un accès amélioré à de l’eau potable grâce à ces aménagements.
La plupart de ces infrastructures sont toujours opérationnelles, mais n’ont pas pu se remplir au cours des derniers mois, faute de pluie. De plus, elles se sont abîmées en 13 ans ; certaines présentent des fissures, et les toitures et gouttières des écoles alimentant les citernes – ainsi que les robinets – sont en partie défectueux. Des réhabilitations sont donc nécessaires pour qu’elles puissent à nouveau pleinement jouer leur rôle.
« En temps normal, les élèves sont enthousiastes à l’idée d’aller à l’école. Mais en raison du Kéré qui se prolonge, les effectifs diminuent et les enfants s’absentent de plus en plus […] La plupart des enfants commencent à dormir en classe, certains s’évanouissent pendant la récréation. D’autres n’arrivent pas à rester en classe et partent chercher des cactus rouges dans les champs. La semaine dernière, seuls 4 élèves sont venus en cours, contre 300 à 400 habituellement »
Parallèlement, la grande majorité des ménages de l’Androy n’a actuellement plus de réserve alimentaire. Les familles disposant de cheptel vendent leurs animaux pour acheter des vivres ; les autres, après avoir bradé tous leurs biens, n’ont pas d’autre choix que de se nourrir uniquement des fruits du cactus rouge.
Distribution alimentaire organisée par le Gret. ©Gaëlle Borgia, 2020
Face à cette situation particulièrement grave, mettant en péril la vie et la santé de milliers de personnes, une nouvelle Opération Kéré a été lancée au mois d’octobre par l’Association Kéré, avec le soutien de la chaîne de télévision Réunion la 1ère et du Journal de l’île de La Réunion. La très forte mobilisation des habitant·e·s, des entreprises et des artistes réunionnais, et le soutien du Conseil régional et de la ville de Saint-Denis, ont permis au Gret, présent sur place depuis 20 ans, d’organiser, dès le 23 octobre, des distributions d’eau et de nourriture aux habitant·e·s du district de Tsihombe. L’intervention du Gret se focalise sur 15 fokontany (villages), et se déploie auprès de 1 200 ménages, soit environ 7 200 personnes. Les distributions d’aide alimentaire se composent majoritairement de céréales et de légumineuses couvrant 50 % des besoins nutritionnels des familles. Une attention particulière est portée aux enfants de 6 mois à 5 ans, particulièrement vulnérables à la malnutrition. La farine infantile fortifiée de haute qualité nutritionnelle produite à Madagascar par l’entreprise sociale Nutri’zaza, la Koba Aina, est distribuée à 1 350 enfants sur la zone d’intervention. Enfin, de l’eau est acheminée chaque semaine par camion depuis des zones moins touchées par la sécheresse, et distribuée aux habitant·e·s ou stockée dans les citernes construites en 2007.
Mesure du tour de bras d’un enfant pour évaluer son état nutritif. ©Gret, 2020
« On observe une grande vulnérabilité des enfants de moins de 5 ans qui sont fortement impactés par des maladies diarrhéiques, la toux et les grippes, surtout à cause de la qualité de l’eau qu’ils boivent, qui n’est pas hygiénique car nous avons un problème d’alimentation en eau. La majorité de la population boit de l’eau non potable, d’où l’accroissement des maladies, les femmes et les enfants sont surtout les plus affectés et viennent faire les consultations au niveau du Centre de santé. »
Point d’orgue de la mobilisation, une soirée spéciale Kéré a été organisée le 28 novembre par l’Association Kéré et Réunion la 1ère. Retransmise en direct à la télévision réunionnaise et sur les réseaux sociaux, l’émission a réuni une vingtaines d’artistes, des grands témoins, des médecins et plusieurs expert·e·s du Gret. Les dons collectés grâce à cette soirée, mais aussi à travers plusieurs initiatives lancées sur l’île de La Réunion, s’élèvent pour l’instant à 570 000 €. Ils serviront en premier lieu à répondre à l’urgence, mais aussi à financer des solutions durables dans les domaines de l’eau potable, de l’alimentation et de la nutrition au bénéfice des populations du sud de Madagascar.
Les citernes construites en 2007 sont ravitaillées par camion, facilitant les distributions d’eau auprès des habitan·te·s. ©Gaëlle Borgia, 2020
En effet, malgré la montée en puissance des dispositifs d’urgence, la situation nutritionnelle et alimentaire reste très tendue dans l’Androy. La situation hydrique est toujours préoccupante, et les distributions devront se maintenir jusqu’aux pluies espérées début 2021. Pour éviter que cette situation ne se répète, « la gestion de l’avant et de l’après-crise est aussi importante que la gestion de la crise elle-même », explique Claire Costis, responsable de projets nutrition au Gret. « Les enseignements tirés de l’expérience du Gret dans la région nous ont montré qu’il fallait instaurer un continuum entre des services existants auxquels les familles avaient déjà accès via des actions de moyen ou de long terme (des boutiques pour se procurer des semences, des points de vente de farine infantile, de l’appui-conseil dans les domaines de la nutrition et de l’agroécologie) et des actions ponctuelles auprès des mêmes familles pour limiter les dégâts sur un temps court (distributions gratuites ponctuelles). Il est aussi essentiel de poursuivre les actions visant à améliorer l’accès aux soins, l’alimentation spécifique des jeunes enfants et l’autonomisation des femmes », poursuit-elle.
« Nous voyons également que l’alimentation est négligée, surtout pour les mères allaitantes. A ma charge nous avons 30 enfants atteints de malnutrition aiguë sévère, sans compter ceux qui sont déjà sortis. L’une des conséquences de cette crise est la malnutrition que ce soit pour la mère ou l’enfant. Lors des échanges effectués auprès des mères de famille, ces dernières témoignent qu’elles ne prennent qu’un repas par jour à cause de la crise. »
Depuis 2005, le Gret et ses partenaires mettent en place de nombreuses initiatives agroécologiques auprès des populations locales : promotion de cultures alimentaires tolérantes à la sécheresse (comme le mil, le sorgho, le pois d’Angole ou le pois de Lima), mise à disposition de semences améliorées auprès des familles, lutte contre l’érosion, intégration de l’agriculture et de l’élevage, etc. Ces actions sont complétées par une sensibilisation renforcée à la nutrition, notamment auprès des femmes et des jeunes enfants. Elles ont permis de gagner un temps précieux dans la réponse d’urgence : les équipes du Gret avaient en effet une bonne connaissance des villages, des acteurs et des familles particulièrement vulnérables à la malnutrition sur la zone (jeunes enfants, femmes enceintes et allaitantes).
Au-delà de l’urgence, l’ambition de l’Opération Kéré est bien d’améliorer les conditions de vie des familles sur le plus long terme et de renforcer leur résilience face aux aléas climatiques.
Dès à présent, les montants collectés vont permettre de mettre en place des solutions agroécologiques pour renforcer la sécurité alimentaire des familles. En effet, les 1 200 ménages qui bénéficient des distributions alimentaires vont également recevoir des semences locales, adaptées aux conditions climatiques de l’Androy et bénéficier d’un accompagnement du Centre technique agro-écologique du Sud (CTAS – ONG malgache) pour la mise en culture.
La mobilisation réunionnaise va aussi permettre de restaurer 5 000 hectares de blocs agroécologiques, une innovation agricole développée par le Gret et le CTAS, dont l’expérimentation est retracée à travers le cahier projet « Stratégie de développement de l’agroécologie dans le Grand Sud malgache », publié récemment aux Éditions du Gret. Les blocs agroécologiques sont des parcelles de 10 hectares minimum sur lesquelles sont semées des plantes pluriannuelles (de deux à trois ans de vie). Ils contribuent à l’alimentation des habitant·e·s et fournissent du bois de chauffe, ressource rare de combustible dans cette région déforestée. Ils protègent également les cultures annuelles contre les vents secs, restaurent la fertilité des sols dégradés, augmentent l’infiltration de l’eau de pluie, garantissant ainsi une meilleure croissance des cultures. Enfin, ils favorisent l’alimentation du bétail.
Vue aérienne d’une exploitation sous forme de bloc agroécologique dans l’Androy. ©Gret, 2020
Ces blocs permettent d’augmenter fortement les rendements pour les producteurs. Malheureusement, la longueur et la sévérité de la sécheresse actuelle ont mis à mal certains d’entre eux. En restaurant les blocs endommagés grâce à la culture du pois d’Angole, l’Opération Kéré contribuera à améliorer les conditions de vie de 3 000 agriculteurs et de leurs familles (soit environ 18 000 personnes) dans le district d’Ambovombe.
« Les blocs agroécologiques remplissent une fonction mixte de lutte contre l’insécurité alimentaire, de protection de l’environnement et de diffusion de la pratique agroécologique. Tout en stockant d’importantes quantités de nourriture, les paysans des zones aménagées ont pu vendre des excédents pour constituer une trésorerie sous forme de bétail », explique Rindra R. Sandratriniaina, ancien responsable Innovations agricoles et Communication du Centre technique agro-écologique du Sud (CTAS), partenaire privilégié du Gret dans le Sud malgache.
Blocs agroécologiques dans l’Androy ©Gret
L’Association Kéré et le Gret souhaitent également mettre en place des solutions pérennes d’accès à l’eau potable dans la région. Une première mission d’évaluation de l’état et de l’utilisation des citernes construites en 2007 sera réalisée dans les prochaines semaines, et permettra de réfléchir à l’intérêt de déployer ce type d’infrastructures, en les intégrant dans un service pérenne, y compris pendant les périodes de sécheresse. D’autres solutions pourront aussi être étudiées, comme le pompage et la désalinisation des eaux souterraines.
Pleinement engagés au service des habitant·e·s de l’Androy, l’Association Kéré et le Gret se mobilisent, pour éviter que la situation actuelle n’empire, mais surtout pour faire en sorte qu’elle ne se reproduise plus avec la même gravité. Les deux organisations tiennent particulièrement à remercier celles et ceux qui se sont engagé·e·s à leurs côtés pour continuer à soutenir les habitant·e·s de l’Androy dans la durée.
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Découvrez les blocs agroécologiques en vidéo
Opération Kéré à Madagascar – Chaque goutte d’eau est un trésor
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En vidéo (reportages diffusés sur la chaîne Réunion la Première) :
Le Gret développe des solutions agricoles pérennes
Les citernes de l’Opération Kéré 2007 utilisées pour les distributions d’eau
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