Cet article, publié dans le Rapport annuel 2021 du Gret, revient sur une préoccupation partagée par de nombreux acteurs de la solidarité internationale : face à la multiplication des crises sur les terrains d’intervention, comment assurer une mission de développement au long cours tout en répondant aux besoins urgents des populations ?
Cet enjeu majeur pour le Gret a fait l’objet de deux jours d’échanges et de discussions lors du séminaire interne annuel de l’organisation tenu fin août, en marge de son Assemblée générale.
Pandémie mondiale, crises politico-sécuritaires au Myanmar, en Haïti et au Sahel, urgence nutritionnelle à Madagascar : l’année 2021 aura confirmé le constat d’une multiplication et d’un prolongement des crises et des conflits à travers le monde. Il se traduit de façon très concrète avec plus de 80 millions de personnes déplacées contre leur gré dans le monde, une situation inédite depuis la Seconde Guerre mondiale.
La (re)mise à l’agenda international du nexus humanitaire-développement-paix[1] ouvre de nouveaux champs des possibles pour concilier réponse aux besoins urgents, résilience, développement et cohésion sociale. Et pour repenser les relations entre institutions, ONG nationales et acteurs internationaux de l’urgence et du développement. La traduction des discours dans la pratique oblige les acteurs à innover mais ne va pourtant pas sans difficultés, ni sans contradictions.
Entre focalisation sur l’efficacité de l’aide et contraintes financières, le nexus n’est pas qu’une nouvelle manière de penser la coopération internationale. C’est aussi le vecteur d’une plus grande sélectivité de l’aide… au risque de marginaliser encore plus certains territoires et enjeux de développement.
Pour le Gret, le défi peut se résumer ainsi : comment renouveler la solidarité internationale en contexte de crise, au service de l’action publique ?
Projet Nex’Eau au Burkina Faso ©Gret
Mobiliser nos savoir-faire d’ONG de développement
Les crises bouleversent les systèmes territoriaux et aggravent les vulnérabilités, du fait des déplacements de populations, de la déstructuration des chaines d’approvisionnement et des marchés, de la perturbation du secteur bancaire, de la hausse des prix, des restrictions imposées par l’Etat sur la liberté d’expression, etc. Les femmes et les hommes concernés ne sont pas pour autant des victimes passives sans ressources, ce sont au contraire les premiers à se mobiliser pour inventer des stratégies de réponse à ces difficultés. Le Gret conduit ses projets avec cette conviction : c’est à partir des savoirs, des ressources et des institutions locales que s’élabore une résilience face aux crises et leurs impacts.
En termes de politique publique, les limites et les travers des interventions d’urgence pensées de l’extérieur sont désormais bien connus : actions inadaptées et non coordonnées, concurrence des économies locales, fragilisation des mécanismes locaux de solidarité, déséquilibres territoriaux, affaiblissement des institutions, et finalement, aggravation des conflits.
Pour le Gret, l’enjeu est de répondre aux besoins urgents à partir des ressources et des savoirs locaux, en mobilisant et renforçant les institutions et organisations locales. Au Burkina Faso, il appuie les services techniques et les collectivités territoriales dans l’élaboration d’outils de planification sectorielle locale pour faciliter la coordination des acteurs internationaux impliqués dans l’approvisionnement en eau potable. A Madagascar, le Gret est intervenu pour le compte de l’association Kéré en soutenant la distribution gratuite de farine infantile fabriquée localement par l’entreprise sociale Nutri’zaza, née en 2013 d’une collaboration avec le Gret. Les distributions ont été faites via des sites nutritionnels mis en place par le Gret avec l’Office régional de nutrition. Au Myanmar, il est parti d’une activité de distribution massive de semences en réponse aux dégâts causés par le cyclone Nargis pour accompagner la structuration progressive d’un service de certification de semences locales. Un an après le coup d’Etat de février 2021, il appuie toujours la diversification des débouchés et des produits finis.
Loin de l’image d’une tabula rasa, les crises agissent comme des amplificateurs de problèmes déjà présents. Agir sur la crise nécessite donc d’agir sur les facteurs de vulnérabilité structurels. Au Burkina Faso, le Gret mène des études sur l’accès au foncier qu’il met à la disposition des acteurs de la gouvernance locale pour les aider à identifier des solutions. A Madagascar, le Gret a complété ses actions de distribution à travers l’aménagement de blocs agroécologiques et l’identification de techniques d’accès à l’eau adaptées aux conditions locales.
Les crises agissent aussi comme des révélateurs des phénomènes d’exclusion, du délitement du lien social et de la perte de confiance envers l’Etat. Les jeunes femmes et hommes en sont les premières victimes. Mais ils sont aussi les premiers acteurs du changement social qu’appellent les moments de crise. Pour le Gret, la question de la cohésion sociale et de l’inclusion en contexte de crise constitue une priorité stratégique transversale. Au Burkina Faso, il accompagne ainsi les organisations de la société civile qui soutiennent les jeunesses comme actrices de la vie publique, sociale, culturelle et politique.
Blocs agro-écologiques dans la région Androy à Madagascar ©Gret
Produire de la connaissance dans l’action
Le Gret mène des activités de production de connaissances durant les différentes phases du cycle d’un projet. Cela fait partie de son ADN. Il contribue ainsi à l’évolution des instruments d’action publique que suppose l’opérationnalisation de la notion de nexus. Il produit des analyses contextuelles et des études prospectives avec des chercheur.e.s et des organisations de la société civile des pays, et évalue et capitalise ses expériences.
Cette démarche est d’autant plus précieuse en contexte de crise que l’environnement évolue rapidement et oblige à des ajustements qui peuvent modifier en profondeur la manière de penser les problèmes et les solutions. Au Sahel, le Gret mène par exemple une étude sur les déplacements forcés des populations pour nourrir aussi une vision de long terme de la gouvernance, du développement territorial et de la cohésion sociale.
Une organisation responsable
Le Gret s’appuie sur la relation de confiance créée avec ses partenaires engagés localement dans les projets. Les ONG nationales, fortement sollicitées en contexte de crise par les acteurs internationaux, sont souvent reléguées au rang de sous-traitant au risque de fragiliser leur ancrage local. Le Gret cherche, au contraire, à construire avec elles les décisions stratégiques.
Il investit également les espaces de coordination de l’aide humanitaire et noue des partenariats complémentaires avec ses acteurs, comme actuellement au Burkina Faso où il est investi au sein du « cluster sécurité alimentaire » et dans les projets d’approvisionnement en eau.
Il systématise enfin l’intégration de la sensibilité au conflit et du principe « ne pas nuire » dans ses actions. Mal conçue, l’aide en situation de crise peut accentuer des tensions du fait d’actions discriminantes, violant certains droits fondamentaux ou alimentant la corruption. Le Gret prend soin d’analyser les interactions entre le projet et les dynamiques locales pour identifier les risques d’alimentation des conflits et s’en prémunir, voire adapter l’action pour qu’elle contribue à apaiser les conflits.
Par Charline Rangé, Responsable de l’animation scientifique au Gret
[1] L’approche Nexus qui lie aide humanitaire, développement et consolidation de la paix entend répondre au constat d’une multiplication des crises et des déplacements de populations sur des temps prolongés. Encore peu stabilisée dans son contenu comme dans son opérationnalisation, la notion vise des changements structurels dans l’ensemble du système d’aide.
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Retrouvez cet article, et d’autres, dans le Rapport d’activité 2021 du Gret
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