A l’occasion d’un colloque, le ministre délégué chargé des Transports, Clément Beaune, a rappelé que la route resterait à l’avenir, malgré le report modal, un maillon essentiel de la mobilité du quotidien. Et comme elle représente une part importante des émissions de CO2, il faudra investir pour l’entretenir et la décarboner.
« La route, grand impensé de la transition écologique ? » : telle était la question posée par un colloque organisé le 31 janvier à Paris par le magazine L’Hémicycle, en partenariat avec Vinci Autoroutes, La Fabrique Ecologique et Mobilettre. Un événement au cours duquel se sont exprimés plusieurs experts, élus, économistes, sociologues, ainsi qu’Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique auprès de la Première ministre, et Clément Beaune, ministre délégué chargé des Transports.
« Les transports représentent le premier poste d’émissions de CO2 de la France, avec 30 % du total… Et plus de 92 % des ces émissions liées aux transports proviennent du transport routier », explique d’emblée François Gemenne, géopolitologue et auteur pour le GIEC. « La décarbonation du transport routier est donc un élément fondamental de la transition écologique… Mais elle reste pourtant un impensé du débat public ».
Le ministre délégué aux Transports le reconnaît sans détours, répondant par l’affirmative à la question posée par le colloque. Pourtant, « 85 % des kilomètres parcourus chaque jour passent par la route, précise Clément Beaune. Elle est, de tous les supports de mobilité, le plus ancien, la première pierre des mobilités humaines, et le sera pour de longues décennies encore ». Elle est aussi un « maillon de proximité essentiel », qui doit être mieux pris en compte pour atteindre les objectifs de réduction des émissions au niveau national. Il faut l’assumer « au moment où il s’agit de relever le défi de la transition écologique, sans opposer les modes de transports ».
Décarboner les usages de la route
« La voiture restera un moyen de transport absolument central à horizon 2035 et 2050 », confirme Antoine Pellion. « L’essentiel de l’effort de décarbonation doit porter sur les trajets du quotidien entre 10 et 80 km, notamment entre métropoles et zones périurbaines ». Les études de l’Insee montrent en effet que les transports en commun restent encore aujourd’hui l’apanage des grandes villes et que les mobilités douces (vélo, marche) sont réservées aux courtes distances. Sur 80 % du territoire, il n’existe pas aujourd’hui de solution alternative à la voiture individuelle et 74 % des déplacements domicile-travail s’effectuent encore en voiture.
La route et l’autoroute étant incontournables, il faut donc se donner l’objectif et les moyens de la moderniser et de la rendre plus durable. Comme l’ont expliqué plusieurs intervenants de ce colloque, la décarbonation des usages de la route passe notamment par le développement d’infrastructures indispensables à la mobilité électrique (stations de recharge rapide), à la mobilité partagée (parkings et voies dédiés au covoiturage, lignes de bus à haut niveau de service avec voie dédiée) et à l’intermodalité (gares routières multimodales).
« La transformation environnementale n’a pas seulement pour vecteur l’évolution des véhicules, elle doit aussi être portée par l’adaptation des infrastructures, notamment pour favoriser la mobilité partagée », explique ainsi François Gemenne. « En termes de mobilité, la France est coupée entre territoires et métropoles, les ZFE cristallisant cette fracture. Réussir la transition écologique demande de dépasser cette opposition grâce aux infrastructures de transports multimodales comme les gares routières », souligne de son côté André Broto, expert en mobilité. « Pour une transition écologique solidaire et soutenable, nous devons construire le « système de mobilité » pour la France périphérique, qui reposera principalement sur la route réinventée comme un système de transports collectifs », prévoit Thomas Matagne, président de la start-up Ecov.
La route peut également contribuer directement à la transition énergétique. « Environ 1.000 ha du domaine autoroutier de Vinci Autoroutes sont compatibles avec l’installation de fermes photovoltaïques, ce qui permettrait de générer au total une puissance de 1 GW, soit à peu près l’équivalent de ce que consomment les véhicules électriques légers sur autoroute », précise ainsi Christophe Hug, directeur général adjoint de Vinci Autoroutes en charge de la maîtrise d’ouvrage.
Comment financer cette transformation ?
Toutes ces transformations exigent des investissements très importants et l’on peut s’interroger sur leur financement, à l’heure où l’augmentation au 1er février des tarifs des péages – pourtant alignée sur l’inflation, encadrée par contrat et vérifiée par l’Autorité de régulation des transports (ART) – suscite certaines critiques, et ce malgré les mesures prises par Vinci pour bloquer l’augmentation des tarifs sur les trajets domicile-travail.
Faut-il remettre en cause les péages ou leurs tarifs ? « Personnellement, je n’y suis pas favorable, car je pense que la transition a un prix collectif et solidaire », répond à ce sujet Clément Beaune. Pour lui, la route sera « au cœur de la transition écologique » en permettant le financement d’infrastructures « complémentaires, notamment ferroviaires ». Mais une part des financements publics devra aussi aller à la décarbonation de la route elle-même : « il est essentiel d’assumer que dans nos politiques publiques, la voiture gardera une place ». Il faut « continuer d’entretenir et d’investir dans le réseau routier », confirme Antoine Pellion.
« La décarbonation de l’économie française va nécessiter d’ici 2050 d’y consacrer 3 à 4% du PIB », estime Patrice Geoffron, professeur d’économie à Paris Dauphine. « Compte tenu de ces montants, il faut des modes de financement rendant possibles ces investissements colossaux ; les recettes des péages autoroutiers en font partie ». « Le modèle concessif est un bon modèle car il donne des perspectives de long terme, estime également le ministre des Transports. Nos réseaux autoroutiers sont bien entretenus, et offrent des perspectives de long terme, des investissements garantis dans la durée ». Au contraire, « notre réseau routier national non concédé est mal entretenu parce que nous n’avons pas réussi à créer cette stabilité du cadre budgétaire ».
Le modèle de la concession permet en effet à la puissance publique de transférer pour une durée déterminée à un acteur privé spécialisé l’ensemble des investissements à réaliser et des risques financiers pour la construction, l’entretien et l’exploitation des infrastructures, la société concessionnaire se rémunérant auprès de l’usager via le péage… sachant que 40 % de ces recettes sont ensuite reversées à l’Etat par le biais des taxes et des impôts. Comme le rappelait l’ex-ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari lors d’un discours au Sénat en mai 2021, « les sociétés concessionnaires ont généré 50 milliards d’euros de recettes fiscales entre 2006 et 2018, et ont investi, sur la même période, 20 milliards dans le patrimoine autoroutier. Sans le modèle concessif, des dizaines de projets d’infrastructures au service des Français n’auraient pu voir le jour ».
« Il faut repenser ce modèle dans les années qui viennent, à la lumière de la transition écologique… Sans casser ce qui marche : le long terme », estime aujourd’hui Clément Beaune. Le modèle pourrait évoluer à l’avenir vers des concessions moins longues et mieux négociées, comme le recommande l’ART dans son deuxième rapport sur l’économie générale des concessions, paru le 26 janvier dernier. « Il y a un avenir écologique pour la route qui constitue en elle-même une solution, un support pour réussir la transition écologique des mobilités, conclut le ministre. Et une part d’investissements doit être consacrée à cet objectif dans les politiques publiques ».