Quoi de neuf dans le vaste monde du bénévolat scientifique ? Avec les sciences participatives, chaque personne peut collaborer à la recherche. Providence Doucet/Unsplash, CC BY-SA
Elise Tancoigne, Université de Genève
Cet article est publié dans le cadre du EuroScience Open Festival (ESOF), où The Conversation France est partenaire.
Presque partout dans le monde, de nombreuses personnes participent bénévolement à des projets de recherche scientifique, dans des domaines aussi variés que l’étude du climat, l’astronomie, la médecine ou encore l’histoire.
L’indexation de publications médicales ou le recensement de la biodiversité de votre jardin ne sont plus qu’à une portée de clic : plus de 1 000 projets de cette recherche dite « participative » sont répertoriés sur le site américain SciStarter. Que vous soyez chez vous, à la plage, ou dans le métro, il y a forcément une activité qui peut vous correspondre.
Les recherches participatives ne sont pas nouvelles. On peut penser au comptage annuel d’oiseaux réalisé par la société naturaliste américaine Audubon depuis 1900, ou encore à la collecte à grande échelle de dents de lait réalisée dans les années 1950 pour évaluer les retombées des essais nucléaires dans le monde par mesure de taux de Strontium. L’essor des réseaux sociaux, des applications pour smartphones et, plus généralement, des outils numériques, contribue à rendre ces projets visibles et accessibles au plus grand nombre.
Ce qui est nouveau en revanche est la création, depuis quelques années, de nombreux espaces d’échanges, virtuels ou physiques, autour de tous ces projets, que ce soit au niveau national ou européen. On voit ainsi fleurir des associations dédiées à la promotion de recherches participatives aux États-Unis, en Australie, en Europe ou encore en Suisse, ainsi que des plates-formes en ligne comme SciStarter, qui répertorient les différents projets ou proposent des outils d’aide à leur création. Les organisateurs et organisatrices de ces projets se rencontrent et échangent sur leurs pratiques lors du congrès annuel de l’European Citizen Science Association (ECSA), ou dans les colonnes du journal Citizen Science : Theory and Practice. Cette institutionnalisation s’accompagne de l’émergence d’une nouvelle profession dans le paysage de la médiation scientifique : celle de coordinateur (ou, bien souvent, coordinatrice) de projet de sciences participatives.
Fréquemment soutenus par des financements publics dédiés à la médiation scientifique, ces associations, journaux et conférences sont des espaces où un ensemble de savoirs et de normes de la participation se développent, se partagent et sont mis en œuvre.
Connaître les mécanismes de la participation
Contrairement aux plates-formes de microtasking comme Amazon Mechanical Turk, qui propose un ensemble de tâches à réaliser contre rémunération, les projets de bénévolat scientifique offrent à leurs participant·e·s des contreparties uniquement symboliques : accroître leurs connaissances, contribuer à des causes particulières, apprendre de nouvelles choses sur eux-mêmes. Pour les organisateurs du bénévolat scientifique, savoir comment attirer des participants, maintenir leur intérêt et prolonger dans le temps leur investissement devient donc un enjeu de taille. Comme pour tous les processus de participation en ligne, ces projets obéissent à la loi de la « longue traîne » : très peu de personnes effectuent la plus grande partie du travail, alors que la grande majorité d’entre elles ne font que des contributions ponctuelles. Elles s’inscrivent par curiosité, contribuent brièvement, puis quittent le projet et ne reviennent pas par la suite. Sur environ 10 millions de personnes inscrites sur les plus grandes plates-formes en ligne de sciences participatives (par exemple Zooniverse, BOINC, ou PatientsLikeMe), ce sont ainsi moins de 3 % qui ont été actives en avril 2018.
Certains chercheurs tentent donc de mieux connaître les profils sociodémographiques des participant·e·s, ainsi que leurs motivations à s’engager. Le « rapport sur les sciences participatives » publié en 2016 par François Houllier, alors PDG de l’Institut National de la Recherche Agronomique (Inra), montre l’hétérogénéité de ces pratiques d’engagement citoyen dans des activités de recherche. Certains s’engagent en raison de leur appartenance à un groupe social spécifiquement concerné par la recherche : élus, habitants, familles, patients, étudiants, élèves, personnes handicapées, etc. D’autres s’engagent par intérêt personnel : astronomes ou naturalistes amateurs, passionnés d’informatique ou de science expérimentale. Chaque type de projet attire un type particulier de participant : alors que le nombre de femmes et de personnes âgées est plus important dans les projets environnementaux, ce sont par exemple plutôt des hommes, actifs, que l’on retrouve dans les projets qui demandent aux participants de partager du temps de calcul de leur ordinateur. Tous ont cependant en commun de partager un niveau d’études généralement supérieur à la population générale, avec une forte composante de formation scientifique et technique.
Un second type de connaissances produites sur la participation concerne l’évaluation et l’élaboration des différents outils numériques utilisés pour capter l’attention et retenir l’utilisateur. Entre l’interface sobre de GalaxyZoo, qui présente à l’utilisateur des successions d’images de galaxie à caractériser, et le jeu de reconstruction neuronale EyeWire, avec ses héros, ses battles et son chat interactif, les moyens mis en œuvre pour capter et retenir les participants – et le type de science qu’ils choisissent de montrer – diffèrent grandement. Derrière la création de ces interfaces et de ces nouvelles connaissances se trouvent des experts en user experience, gaming, design, ou encore en sciences de l’éducation et en sociologie.
Encadrer les pratiques
Outre ces savoirs, il s’élabore également dans ces espaces d’échange dédiés aux sciences participatives des normes de participation, sous forme de recommandations et guides de bonnes pratiques. Des traditions de participation très différentes sont regroupées sous le vocable de sciences participatives (citizen sciences dans le monde anglo-saxon). Entre la tradition médicale, qui place le participant dans un rôle de sujet d’expérimentation, la tradition naturaliste, où l’amateur publie autant que l’expert, et la recherche-action en agriculture, qui favorise la co-construction de questions de recherche, ce sont différentes visions du participant et de sa relation avec le scientifique qui cohabitent dans ces espaces.
Les « 10 principes des sciences participatives » ont par exemple été publiés en 2015 par l’association ECSA, basée au Muséum d’Histoire naturelle de Berlin, et traduits en 25 langues. Ils définissent les formes que peuvent prendre les collaborations, ainsi que le statut des données, méta-données ou publications qui en sont issues. Bien que volontairement larges et inclusifs, ces 10 principes laissent néanmoins percevoir le creuset de leur élaboration : celui de la tradition naturaliste et environnementale. Par exemple, les points éthiques soulevés font référence à la propriété des données, à leur confidentialité, et aux impacts environnementaux des recherches. Mais ils restent silencieux quant à l’impact que la recherche pourrait avoir sur les participants – un point pourtant crucial et très réglementé en recherche clinique.
Les connaissances produites par les projets de science participative ne se limitent donc pas à faire avancer la recherche sur la biodiversité, l’histoire ou la cosmologie des nombres premiers. À travers ces espaces d’échange autour des sciences participatives s’élaborent également de nouveaux savoirs autour de la participation elle-même, des motivations individuelles et des dynamiques collectives, qui enrichissent le paysage du bénévolat contemporain.
Elise Tancoigne, Post-doctorante, Université de Genève
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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