Antananarivo, capitale économique et politique de Madagascar, est particulièrement touchée par la précarité : 75 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national. Matt Biddulph/Flickr, CC BY-SA
Pierre-Arnaud Barthel, AFD (Agence française de développement) et Anne Odic, AFD (Agence française de développement)
La plupart des villes en développement se construisent aujourd’hui de manière informelle, et le milliard d’habitants vivant actuellement dans des quartiers précaires devrait doubler d’ici 2030.
Ces quartiers constituent autant de morceaux de territoire en décrochage. Caractérisés par une exclusion urbaine et socio-économique, ils pâtissent d’un accès insuffisant aux services et équipements. Anciens centres dégradés, quartiers dévastés à reconstruire suite au déclenchement d’une crise, bidonvilles, quartiers en dur se densifiant ou encore extensions de villes sous-équipées, ils représentent tous un défi majeur pour les collectivités locales et les États.
Creusets de multiples innovations, ces lieux ont pourtant de nombreuses potentialités comme le souligne Julien Damon dans son ouvrage Migrations et urbanisme informel : « Accessibilité piétonnière, industrie de la récupération et du recyclage et agriculture urbaine, ou encore dynamisme entrepreneurial allant du commerce minuscule (le barbier à un fauteuil) aux activités de troc et d’ateliers ».
La perception de ces espaces a ainsi évolué : à l’injonction à la « résorption » des bidonvilles, on privilégie désormais l’amélioration sur place de ces quartiers ; une stratégie moins coûteuse, plus acceptable et plus durable. Il semble également nécessaire que les pouvoirs publics valorisent et développent la capacité de ces quartiers à contribuer au bon fonctionnement des villes.
Éviter les relogements
Les actions de rénovation des quartiers précaires ont pour objectif de réussir l’intégration non seulement spatiale, mais aussi sociale, économique et politique de ces quartiers au reste de l’espace urbain. Le premier principe guidant les interventions dans ce domaine consiste à partir de l’existant : privilégier autant que possible la réhabilitation sur place en minimisant les relogements.
Moins onéreuse que le relogement donc, et développée plus rapidement, cette approche pragmatique permet d’apporter une réponse au plus près des attentes des populations. Elle consiste à miser sur les services, équipements et espaces publics comme leviers de désenclavement, tout en maintenant les liens sociaux existants et la proximité des lieux d’emplois et d’échanges.
Cette approche est développée dans un nombre croissant de villes de pays en développement, comme à Antananarivo (Madagascar). Dans les quartiers les plus précaires de la capitale malgache, des ruelles, voies carrossables, bornes-fontaines, blocs sanitaires, lavoirs, bacs à ordures, espaces publics ont été installés par l’État grâce à divers projets « Lalankely » (ruelle en malgache) soutenus par l’Agence française de développement (AFD).
Une gestion communautaire des équipements a été mise en œuvre via la structuration et la formation de comités d’habitants pour inscrire cette réhabilitation dans la durée. Ces projets simples, de mise en œuvre rapide et avec une forte contribution des habitants, ont eu un impact visible et durable sur l’amélioration des quartiers car ils ont lancé une dynamique permettant notamment l’émergence de petits commerces dans ces quartiers.
Un bac à ordure à Antananarivo à Madagascar, en 2014. Wikimedia, CC BY Des quartiers à part entière
Si les interventions doivent être adaptées au cas par cas, une approche urbaine globale est nécessaire dans chaque situation. Il s’agit d’appréhender les quartiers précaires dans ce qu’ils apportent au fonctionnement urbain en général.
En incitant, à travers un dialogue de politique publique, les autorités à les considérer comme des quartiers de villes à part entière, ils pourront ainsi bénéficier d’une politique d’intervention identique à celle des autres quartiers, tant au niveau des investissements à réaliser que de leur gestion et maintenance au long terme.
Du fait de la sensibilité de ces interventions, qui interviennent auprès de populations souvent marginalisées dans des contextes urbains complexes, une volonté politique forte des acteurs locaux et nationaux est un préalable à l’action. Il faut ainsi favoriser le retour de la puissance publique dans ces quartiers en créant les conditions d’une confiance entre les autorités et les habitants. Ces derniers doivent devenir des acteurs à part entière du projet dans les choix d’aménagement, la priorisation des investissements, la mise en œuvre et l’entretien des ouvrages. Cela permet d’assurer leur appropriation tout en luttant contre les risques d’exclusion d’un groupe par un autre.
Une approche multi-villes
Aujourd’hui, de tels projets existent à l’échelle d’une ville, comme à Madagascar, mais aussi à l’échelle d’un pays et dans une logique multi-villes, comme en Tunisie.
Les autorités tunisiennes ont ainsi lancé depuis plusieurs décennies une politique pérenne de réhabilitation des quartiers précaires. Elle facilite l’accès des populations aux services, leur intégration socio-économique et les incite à construire des logements en dur alignés dans l’attente de l’intervention de la puissance publique.
Le nouveau Programme de réhabilitation et d’intégration des quartiers d’habitation (2018-2023) intervient par exemple dans près de 150 quartiers, ciblant plus d’un million d’habitants, notamment Sousse, Jendouba, Kairouan, ou encore Sidi Bouzid.
L’objectif est de mettre à niveau les infrastructures de base et de renforcer l’accès aux équipements culturels, sportifs ou industriels. L’innovation sera testée au fil de la mise en œuvre, tant à travers des actions de projets participatifs frugaux pour signaler le changement entamé, qu’à travers une inclusion plus forte des collectivités à la mise en œuvre du programme.
Au-delà de l’accès aux services, la requalification des espaces communs – via la mise en place ou l’amélioration d’équipements publics, l’embellissement des quartiers par des places et parcs qui génèrent d’importants impacts sociaux, le développement d’équipements culturels et sportifs – contribue à modifier durablement l’aspect des quartiers et les conditions de vie des habitants.
Les composantes sociales et institutionnelles des projets sont également essentielles pour accompagner les investissements et en assurer la gestion comme c’est le cas à Madagascar : en favorisant les approches à haute intensité de main-d’œuvre, la création de comités d’habitants pour gérer les services ou en développant des laboratoires d’innovation urbaine facilitant l’émergence de petits projets frugaux et d’urbanisme temporaire en amont des travaux comme en Tunisie.
Pierre-Arnaud Barthel, Chef de projet en développement urbain, AFD (Agence française de développement) et Anne Odic, Responsable de la division développement urbain, aménagement et logement, AFD (Agence française de développement)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Pour en savoir plus (1312 hits)