Face à l’ampleur des défis, il est vital de réunir toutes les énergies à tous les niveaux de la société et casser les silos entre les différents écosystèmes : universitaires, politiques, associatifs… La Fondation Solidaire y contribue avec ce prix de thèse qui encourage les docteurs qui font l'effort de mettre leur recherche de thèse au service d’acteurs impliqués sur le terrain.
Lancé seulement il y a 2 ans, le Prix de thèse en faveur d’une transition écologique et solidaire connaît un véritable succès : près de 25 candidatures ont été réceptionnées par la Fondation Terre Solidaire.
Quatre lauréats ont été sélectionnés par un jury pluridisciplinaire composé de chercheurs et d'acteurs, et présidé par l'économiste Gaël Giraud.
Les lauréats illustrent parfaitement cette volonté citoyenne de préserver les territoires et biens communs.
Ils portent une vision de société solidaire, et proposent une réflexion inédite ainsi que des solutions duplicables autour d’enjeux majeurs comme les alternatives à la pensée économique actuelle, les conséquences sociales de la politique environnementale européenne, la compréhension des feux de brousse en Nouvelle Calédonie à l’aune de l’histoire coloniale et postcoloniale ou la nécessité, pour développer une agriculture soutenable, de commencer par construire un socle social fort
Pourquoi ce prix ?
Il existe peu de prix de thèse spécifiquement dédiés aux enjeux de la transition écologique et solidaire et valorisants un effort de rendre accessible les connaissances produites aux acteurs d’intérêt général.
Dans un contexte institutionnel scientifique où les doctorants sont incités à privilégier des valorisations académiques ou commerciales de leurs travaux, il a semblé nécessaire à la Fondation d’encourager le travail de recherche mis au service des actions de terrain.
Le jury illustre concrètement cette volonté de réunir les mondes académiques, institutionnels économiques, associatifs…
Présidé par l’économiste Gaël Giraud, il est composé d’une sociologue, d’une vice-présidente d’ONG, d’une agricultrice, d’une élue locale, d’un animateur de réseau Biocoop, d’un ingénieur solidaire…
L’originalité de ce prix de thèse tient également au fait que les travaux primés remplissent de façon cumulative trois critères essentiels :
- Ils traitent d’un enjeu relatif à la transition écologique
- Ils mettent en évidence une problématique de justice sociale
- Ils ont été menés en partenariat avec des acteurs de terrain ou ils ont produit des enseignements de nature à faire évoluer les actions de terrain.
Des lauréats, porteurs de solutions sur des problématiques bloquantes pour la transition écologique
Compte tenu de la diversité et de la très bonne qualité des candidatures reçues, le Jury a décidé pour cette 2ème édition de créer deux catégories de lauréats pour mieux distinguer les travaux issus des sciences humaines et sociales des travaux issus des sciences techniques et du vivant.
Il recevra une dotation de 2 000 €. Sa thèse en économie théorique sur la décroissance est divisée en trois grandes questions liées à l’insoutenabilité sociale et écologique de la croissance économique et aux implications socio-économiques de la décroissance. La décroissance est un concept souvent mal compris par les économistes et le public en général. La qualité du travail de Timothée Parrique est de clarifier l’histoire du concept, ses fondations philosophiques, ses implications économiques, ainsi que ses controverses. L’intérêt de ce travail est également de faire l’inventaire des actions qu’on trouve dans la littérature décroissante (e.g., réduction de temps de travail, quotas carbones, garantie de l’emploi, monnaies complémentaires, réformes bancaires, taxes sur les revenus et les richesses). Timothée Parrique a ainsi pu concevoir une méthode prospective pour étudier les interactions entre ces différents leviers d’action.
Ce travail réalisé par Timothée Parrique apporte trois apports :
La décroissance, notre seule issue ? vidéo Youtube
Dans un contexte où nous avons besoin d’alternatives économiques, le Jury du Prix de thèse de la Fondation Terre Solidaire a souhaité primer ce travail qui a le grand intérêt de théoriser l’option de la décroissance qui est toujours restée en périphérie des débats publics. En outre, les efforts réalisés par Timothée Parrique pour rendre accessible au plus grand nombre ces notions complexes ont été fortement appréciés par le Jury.
Elle recevra une dotation de 1 500 €
Depuis une vingtaine d’années, les feux de brousse constituent un phénomène récurrent et préoccupant en Nouvelle-Calédonie, car ils menacent des formations végétales endémiques et particulièrement originales, et mettent en péril les équilibres environnementaux du territoire insulaire de la Nouvelle-Calédonie. Répondant à une commande de la Province nord de la Nouvelle-Calédonie, ce travail entendait mettre au jour les usages contemporains du feu, en particulier en milieu kanak. De l’ethnographie de pratiques interdites à l’analyse socio-historique du secteur forestier, Marie Toussaint explore la manière dont le phénomène des feux de brousse a été pensé et encadré sur la longue durée coloniale. Loin de constituer un phénomène nouveau, les feux de brousse sont un élément constitutif de la conquête coloniale et de la ségrégation raciale qui ont marqué l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Devenu un « problème public environnemental » dans les années 1970, le phénomène a progressivement acquis le caractère de menace pour la biodiversité, de telle sorte que les politiques environnementales contemporaines se concentrent sur l’éradication du phénomène, via le renforcement de politiques de sensibilisation et de lutte contre les feux. Dans le même temps, les usages et représentations kanak passés et contemporains du feu, et plus largement de l’environnement naturel, ont été très fortement réprimés et de facto rendus invisibles. Au-delà de ces aspects environnementaux, l’analyse de la question des feux de brousse permet d’explorer des questions politiques : de la construction et de la formation de l’État colonial en Nouvelle-Calédonie, à sa transformation depuis les Accords politiques de Matignon-Oudinot (1988) et de Nouméa (1998). L’ensemble de cette thèse explore ainsi la trajectoire coloniale et postcoloniale calédonienne à l’épreuve du phénomène des feux en étudiant l’évolution des structures règlementaires et des institutions forestières, mais également la circulation des savoirs liés aux feux et aux forêts, et le rôle essentiel des acteurs dans ces processus. Ce travail met en évidence les liens multiples entre des formes de savoirs et des structures de pouvoir, et en particulier la sédimentation progressive de certaines formes d’ignorance, et le rôle des acteurs dans leur maintien. Il permet également de documenter l’histoire environnementale de l’ile depuis son annexion par la France et de renouveler les questions relatives à la gestion de cet environnement naturel. L’analyse de l’évolution de la problématique des feux de brousse, et sa prise en charge par les institutions calédoniennes ouvrent des questions intéressantes et importantes sur la formulation de politiques environnementales dans un contexte de décolonisation négociée.
Documentant l’invisibilisation conjointe des usages Kanak du feu et de l’histoire environnementale de l'île depuis la colonisation, Marie Toussaint renouvelle les questions relatives à la gestion politique de cet environnement naturel exceptionnel. Cette thèse porte un regard nouveau sur des pratiques Kanak longtemps discréditées. Le Jury du Prix de Thèse a également souhaité primer cette candidature pour l’impact qu’a eu ce travail sur la politique environnementale locale. La restitution de la thèse ayant servi à déverrouiller la parole sur le sujet du feu, et à lancer l’expérimentation de nouveaux dispositifs de concertation sur la gestion du risque feu. In fine, ce travail a permis une réorientation complète de la politique environnementale de la Province nord sur ce sujet.
Il recevra une dotation de 1 500 €. Depuis 2015, toutes les haies présentes sur une parcelle dont l’exploitant perçoit des aides de la Politique agricole commune (PAC) sont protégées par cette dernière. Cette règle se nomme BCAE7, pour « bonne condition agricole et environnementale n°7 », et fait partie de la conditionnalité environnementale de la PAC, un ensemble de prescriptions minimales que doit respecter tout bénéficiaire. Mais par quoi passe cette requalification des haies en éléments dignes d’être protégés ? D’où vient-elle ? Quels acteurs met-elle en présence ? Par quels instruments acquiert-elle une existence ? Quels sont ses effets prévus et imprévus dans les fermes et ailleurs ? Pour répondre à ces questions, Léo Magnin a construit une méthode d’enquête sur-mesure : une monographie de dispositif. Pour décrire le dispositif dans lequel s’incarne la protection des haies, Léo Magnin a étudié sa genèse, son instrumentation numérique, sa critique par des agriculteurs (Combrailles, Auvergne) et enfin son application par les administrations agricoles et les professionnels de l’arbre et de la haie.
Au cours de sa recherche, il a tissé des liens de plus en plus étroits et féconds avec l’Afac-Agroforesteries. L’association, qui rassemble des techniciens agroforestiers de Chambres d’agriculture, d’associations agroécologiques, de syndicats de bassins versants, de fédérations de chasseurs, de paysagistes indépendants et de collectivités, avait joué un rôle décisif dans l’écriture de la règle BCAE7. Les résultats de sa thèse ont nourri plusieurs rapports et webinaires et ont servi de supports à des réunions de l’Afac-Agroforesteries avec différents services des ministères de l’agriculture et de l’environnement en vue de l’amélioration de la règle pour la prochaine PAC.
La thèse de Léo Magnin apporte en particulier trois contributions intéressantes :
Le Jury du Prix de thèse a été particulièrement intéressé par les effets sociaux des réglementations environnementales étudiées par Léo Magnin. Par exemple, en s’intéressant aux activités qui sous-tendent la protection de l’environnement, à l’instar de la cartographie numérique des haies, Léo Magnin a mis au jour le travail invisible de milliers de travailleurs et de travailleuses du clic. Le travail de photo-interprétation, peu rémunérateur, répétitif et largement délocalisé dans des pays où le « coût » de la main-d’œuvre est plus bas qu’en France, ne peut qu’interroger sur les promesses d’écologisation qui reposent sur des outils numériques supposément automatiques. Dans une perspective de justice environnementale, il est légitime de considérer que la qualité de vie des uns, via la préservation du paysage, ne devrait pas être outillée par une multitude de micro-tâches déshumanisantes et occultées car effectuées par des groupes sociaux subordonnés.
Gwen Christiansen a construit son sujet de thèse autour de la question de la gestion de la diversité des raisonnements des acteurs d’une transition agroécologique. De nombreux acteurs de l’agriculture développent des systèmes agricoles plus vertueux sur les plans social, économique et environnemental. Ils s’engagent ainsi dans une transition indéterminée, où ils quittent une situation non désirée sans avoir une vision clairement définie de la situation alternative qu’ils construisent. Dans l’accompagnement d’une telle transition, il est crucial de prendre en compte les raisonnements des acteurs de terrain (agriculteurs, conseillers agricoles, enseignants de lycées agricoles, gestionnaires de Parc Naturel Régionaux, etc.). Leurs raisonnements sont diversifiés et intègrent leurs connaissances dans différents domaines (économique, social, environnemental, politique), leurs valeurs et les incertitudes qu’ils perçoivent. Une des difficultés dans l’accompagnement de démarches collectives réside dans la gestion de cette diversité, aussi bien au sein de chaque raisonnement individuel qu’entre les raisonnements des différents acteurs. L’accompagnement procède donc souvent d’une réduction rapide de cette diversité par la recherche de consensus et d’alignement des acteurs sur un objectif commun. Dans son travail de thèse, Gwen Christiansen a au contraire considéré la diversité des raisonnements comme une ressource pour aborder la complexité des situations et pour co-construire des objectifs et des moyens d’agir.
Gwen Christiansen a mené son travail de thèse en recherche-action, en partenariat avec les membres du projet « Dispositif d’Innovations Agroécologiques Locales », porté par la Chambre d’Agriculture de l’Aveyron et réunissant le Parc Naturel Régional des Grands Causses, le Lycée Agricole La Cazotte, diverses institutions de conseil agricole (UNOTEC, SE Conf. Roquefort, AVEM), ainsi que des éleveurs ovin lait. Afin d’accompagner ces acteurs, elle a conçu une démarche prospective participative fondée sur la valorisation de la diversité des raisonnements, dans le but de favoriser l’expression de l’intelligence collective et les co-apprentissages. Cette démarche a permis aux acteurs de :
- définir une vision et des ambitions communes pour la transition agroécologique qu’ils mènent sur leur territoire. Leur vision de la transition agroécologique est fondée sur des capacités humaines, avec une priorité sur le maintien ou le développement d’un « territoire vivant », et en plaçant les solutions techniques et technologiques comme secondaires dans le processus de transition,
- identifier des actions collectives accessibles à l’échelle de leur territoire,
- enrichir leurs raisonnements individuels avec davantage d’éléments de contexte (local et global), de leviers d'action qui leur sont directement accessibles, et de liens entre différents domaines de l’agroécologie.
Le travail de thèse de Gwen Christiansen donne des clés pour contribuer au développement du processus démocratique au sein des processus de transition, à travers :
- la mise en évidence de l’importance de valoriser et de maintenir la diversité des raisonnements des individus concernés, pour assurer la pérennité des transitions à travers la mobilisation des individus et des collectifs,
- des méthodes pour générer de l’intelligence collective grâce à la valorisation de cette diversité, qui permet de construire une vision collective articulée avec les visions individuelles, et d’ouvrir davantage de pistes d’action, accessibles aux acteurs, et en cohérence avec leurs valeurs.
Cette recherche a été financée par l’ADEME et l’INRAE.
Le Jury du Prix de thèse a été très intéressé par cette recherche de Gwen CHRISTIANSEN qui montre la nécessité, pour développer une agriculture soutenable, de commencer par construire un socle social fort : créer sur les territoires les conditions sociales pour que des agriculteurs, ainsi que d'autres habitants, puissent et souhaitent y vivre durablement et y développer des projets soutenables. Sans des conditions sociales soutenables (infrastructures, services, activités socio-culturelles, lien social), on ne peut envisager de développer une transition agroécologique.
https://www.prix-these.fondation-terresolidaire.org/
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