Si de nouvelles variétés sont nécessaires à l’agriculture pour résister aux aléas climatiques, elles ne seront pas suffisantes. Il faut les intégrer dans une démarche globale d'agro-écologie. C’est ainsi qu’on donnera une chance à l’agriculture, notamment sous les tropiques, de continuer à produire nos aliments de base et certains de nos aliments préférés, comme le chocolat. Le cacao peut en effet être cultivé en agroforesterie dans des zones initialement peu propices.
Contrairement aux annonces médiatiques alarmistes de ces derniers mois, le chocolat ne devrait pas disparaître à cause du changement climatique. A deux conditions cependant : d’une part que le scénario climatique le plus grave soit évité, d’autre part que la culture du cacaoyer soit adaptée. Et cela, pas seulement à travers des variétés plus tolérantes à la sécheresse, mais également en adoptant des pratiques culturales plus agro-écologiques.
« L’agro-écologie s’appuie sur des principes de diversité, d’utilisation efficiente des ressources naturelles, de recyclage des nutriments et de synergie entre les différentes composantes de l’agroécosystème » , explique Emmanuel Torquebiau, référent sur l’agroforesterie au Cirad. « L’agroforesterie est une pratique de l’agro-écologie qui consiste à associer des arbres aux cultures, soit dans des forêts existantes, soit à travers des plantations spécifiques. Elle fournit de nombreux exemples de rétroactions positives, comme la restauration de la fertilité des sols ou la régulation des bioagresseurs » . Ces systèmes sont auto-suffisants et ne nécessitent pas d’irrigation, autres que les eaux de pluie.
Des cacaoyères agroforestières implantées sur des savanes
« Grâce aux pratiques agroforestières, il a été possible de cultiver le cacaoyer dans des zones considérées comme inadaptées. Au Cameroun par exemple, des cacaoyères ont été installées à partir des années 30 en agroforesterie sur des savanes dans la zone du Mbam et Inoubou » , révèle Patrick Jagoret, agronome au Cirad. Ces systèmes agroforestiers maintiennent l’humidité du sol et limitent l’évapotranspiration des cacaoyers. « Cela réduit ainsi les contraintes liées à la longue saison sèche qui prévaut dans cette zone ». Et les rendements ne sont pas plus faibles qu’en monoculture, contrairement aux idées reçues. « Au Cameroun, le rendement des cacaoyères agroforestières peut dépasser 900 kilos par hectare après une vingtaine d’années ». Comme en Amérique latine (Colombie, Pérou, Equateur). Quant à la durée de vie des cacaoyères agroforestières, elle dépasse souvent 50 ans.
Des sols plus fertiles et des bioagresseurs régulés
Le cacaoyer est à l’origine un arbre de sous-bois de la forêt amazonienne, sensible aux écarts de température et qui a besoin d’une humidité constante. C’est la raison pour laquelle cette plante apprécie l’ombrage et l’humidité des sols des agroforêts. Associer des arbres aux cacaoyers améliore la qualité des sols, ce qui peut permettre de réduire le recours aux engrais. « Cela favorise la vie biologique du sol, l’infiltration de l’eau, l’incorporation de matière organique et le stockage de carbone dans la biomasse et le sol ».
Ces pratiques d’agroforesterie peuvent aussi contribuer à la régulation des bioagresseurs, et donc limiter l’usage des pesticides. « L’ombrage lié à la présence d’arbres limite par exemple les infestations de mirides, insectes piqueurs suceurs, principaux ravageurs du cacaoyer en Afrique » , précise Christian Cilas, référent pour la filière cacao au Cirad. L’organisation spatiale des cacaoyers et des arbres peut, de plus, limiter l’incidence de certaines maladies, comme par exemple la moniliose en Amérique centrale.
L’agroforesterie, une pratique ancestrale modernisée au fil du temps, plus résiliente…
Les systèmes agroforestiers ont été mis au point et améliorés au fil des siècles par les agriculteurs. Nombre d’agriculteurs ont cependant rompu avec la cacaoculture agroforestière en Afrique dès les années 70, dans l’idée d’augmenter leur production par le recours à des intrants chimiques et des variétés sélectionnées pour le plein soleil. Cela a conduit à des épisodes de déforestation et de dégradation des sols, notamment au Ghana et en Côte d’Ivoire, qui concentrent aujourd’hui près de 70 % de la production mondiale de cacao.
« Les systèmes agroforestiers offrent pourtant une souplesse et une flexibilité plus importantes que les cacaoyères sans ombrage » , souligne Patrick Jagoret. Non seulement, ils sont moins soumis aux aléas climatiques (pour les raisons évoqués plus haut) mais ils sont également moins sensibles aux aléas du cours mondial du cacao. « Les cacaoyères agroforestières peuvent être gérées à minima pendant les périodes défavorables. Il est même possible de reprendre en main des cacaoyères agroforestières qui avaient été abandonnées. » La présence d’arbres dans les agroforêts à cacaoyers ralentit en effet la dégradation des cacaoyers et facilite leur remise en état. Certains de ces arbres peuvent aussi fournir des produits commercialisables, par exemple des fruits, complétant les revenus issus de la vente du cacao.
…mais aussi plus durable
Les pratiques d’agroforesterie permettent par ailleurs de stocker plus de carbone que les systèmes sans ombrages, donc contribuent indirectement à atténuer les émissions de carbone et donc l’effet de serre. « Le niveau de stockage en carbone d’une cacaoyère mature conduite en agroforesterie se situe entre 5 et 10 tonnes par hectare. On a pu mesurer jusqu’à 180 tonnes de carbone stockés par hectare dans certaines zones au Cameroun. C’est presque moitié moins qu’une forêt naturelle mais c’est beaucoup mieux qu’une monoculture de cacaoyers » , selon Stéphane Saj, agro-écologue au Cirad.
La cacaoculture agroforestière a donc fait ses preuves au Cameroun et dans de nombreux pays d’Amérique latine, en réduisant les coûts environnementaux et la dépendance des agriculteurs aux intrants chimiques et aux changements globaux.
D’autres innovations agro-écologiques se développent en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao. « De nouvelles formes d’agriculture-élevage, avec l’association d’élevages de moutons et d’arbres fourragers dans les cacaoyères, voient le jour » , témoigne François Ruf, agroéconomiste au Cirad. « Ces fertilisations organiques et les résidus de récolte semblent jouer un rôle croissant dans les stratégies des planteurs pour lutter contre le changement climatique » , observe-t-il.
Ces différentes dynamiques paysannes en agro-écologie pourraient bien inspirer les autres acteurs des filières cacao face à la demande croissante des pays émergents. « Sous réserve de veiller à un partage raisonnable de la valeur » , met en garde François Ruf.
Communiqué du Cirad (953 hits)