Début octobre, le Gret a publié un ouvrage sur le régime foncier dans la Dry Zone et le Delta de l’Ayeyarwaddy, au Myanmar. Entretien avec Céline Allaverdian, chef de projet du Gret basée sur le terrain, à l’origine de cette initiative.
Pourquoi le foncier est-il un sujet central au Myanmar ?
A plusieurs reprises au cours des dernières décennies, le Myanmar a mis en place des politiques agricoles néfastes, voire prédatrices, qui ont fortement affecté les agriculteurs et le foncier : quotas obligatoires de riz à fournir à l’État à bas prix, tropisme excessif envers la production rizicole au détriment de cultures potentiellement plus rentables et adaptées pour les agriculteurs, gouvernance locale favorisant la corruption et le clientélisme, confiscations de terres, etc.
A l’heure de la transition démocratique actuelle, le foncier a émergé comme un enjeu fort, porté à la fois par la société civile, le gouvernement et les élus parlementaires pour tenter de rétablir les dommages causés par les régimes précédents. Le travail de terrain qui a mené à la rédaction de l’ouvrage Land tenure in rural lowland Myanmar – From historical perspectives to contemporary realities in the Dry Zone and the Delta (qui pourrait se traduire en français par : Régime foncier dans les plaines rurales du Myanmar – Des perspectives historiques aux réalités contemporaines dans la Dry Zone et le Delta)* s’est d’ailleurs déroulé durant la mise en œuvre de la loi foncière Farmland Law de 2012, comprenant notamment la légalisation des transactions foncières et la délivrance de plus de neuf millions de titres fonciers.
En quoi ce livre peut-il être utile pour les différents acteurs présents au Myanmar ?
Très peu de connaissances sont disponibles sur le monde rural birman, en particulier après l’indépendance du pays. La production d’études approfondies, comme celle que nous avons menée, répond donc à différents enjeux : permettre, d’une part, d’apporter des éléments crédibles aux organisations de la société civile qui cherchent à renforcer leurs actions de plaidoyer et d’appui aux agricultures familiales ; et d’autre part, s’adresser au gouvernement et aux opérateurs de développement qui ont besoin de mieux comprendre les populations rurales de ces zones. Dans notre ouvrage, nous abordons par exemple la question de la politique de redistribution foncière actuelle envers les « sans-terre » et les victimes de confiscations de terres menées par le gouvernement après 1988. La typologie que nous avons établie sur les types d’agriculteurs et les « sans-terre » est extrêmement utile pour contribuer à la réflexion sur le ciblage de ce type de politique et des mesures d’accompagnement nécessaires. Enfin, pour la recherche, cette publication est une référence très utile pour comprendre l’histoire du foncier contemporain au Myanmar.
Quelles sont les recommandations qui ressortent de votre étude?
En premier lieu, il faut pouvoir intégrer les besoins et les pratiques des agriculteurs dans les politiques. Aujourd’hui, malgré la loi foncière de 2012, les paysans n’ont toujours pas la liberté de choisir leurs cultures alors qu’ils sont tout de même les mieux placés pour le faire. L’enjeu essentiel pour l’administration foncière est de passer d’une culture militaire d’exécution par la hiérarchie à une culture d’offre de services qui puisse être accessible aux agriculteurs au niveau du village. Cela nécessite des efforts de longue haleine et une profonde mutation de la gouvernance foncière. Le chemin s’annonce donc encore long et la société civile birmane sera un pilier essentiel pour avancer vers de meilleures politiques foncières.
* Cet ouvrage est le fruit de plus de 13 mois de travail de terrain dans les régions du Delta de l’Irrawaddy et de la Dry Zone, au Myanmar. Celui-ci a été mené dans le cadre d’un projet de recherche, avec l’appui du Livelihoods and Food Security Trust Fund (Lift) »
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